Récit des évènements surnaturels d’Arès
(1974 et 1977)
(Extraits de la Révélation d’Arès édition 1989)
Apparitions de Jésus du 15 janvier au 13 avril 1974.
Introduction : Tout commença en janvier 1974 quand Michel Potay quitta Bourges avec son épouse Christiane et leurs deux filles Nina et Anne pour venir s’installer à Arès, commune située au nord du bassin d’Arcachon.
Michel Potay est né à Surennes, banlieue usinière de la région parisienne le 11 juillet 1929 . Sa mère était institutrice et son père ingénieur. Après avoir servi dans la marine , il exerça le métier d’ingénieur dans l’industrie nucléaire pendant quelque dix ans. Vers l’âge de 30 ans , il commença à se poser des questions métaphysiques et après un bref passage dans l’ésotérisme dont il découvrit les erreurs, il trouva la foi en 1964. Il épousa Christiane Négaret en 1968 à Bourges, de cette union naitront trois filles, Nina (1969), Anne (1970) et Sara (1975). Puis il s’engagea comme clerc dans l’église orthodoxe.
Son témoignage : (Extraits de l’édition de la Révélation d’Arès de 1984)
En 1971, pour sortir ma communauté régionale de la crise où la plonge le décès de son évêque, Mgr Jean Kovalesvski (dont le diocèse passera plus tard sous l’Église Orthodoxe Roumaine), j’accepte la proposition de l’Église Orthodoxe Vivante d’être son représentant exarchal en Occident. Au début, cette fonction n’atteint pas aux devoirs de mes origines et de ma citoyenneté françaises. Mais, graduellement, on me contraint à des compromissions politiques. En mars 1973, on me somme de faire passer mes courriers exarchaux par des organismes diplomatiques ou de presse soviétiques. Mon engagement personnel étant uniquement religieux, je refuse. On insiste. Je démissionne. On me prie cependant d’assurer jusqu’au 31 décembre l’exarchat, qui sera le 1er janvier 1974 transféré à Prague.
Non déposé,ni réduit à l’état laïc, attendant un nouveau ministère que je veux seulement spirituel, je reste un clerc orthodoxe convaincu et fidèle.
Avec mon épouse, Christiane, et quelques fidèles, je veux profiter de cet intermède pour tenter un retour aux sources, «l’expérience de la paroisse originelle», dis-je à l’époque. Trois mois après ma démission d’exarque, j’achète en juin 1973, à Arès en Gironde, l’ensemble des bâtiments où j’espère installer quelques familles avec la mienne, en semi collectivité. …
Les bâtiments, plutôt délabrés, sont ceux d’un restaurant-pension de famille désaffecté. Le 11 septembre 1973, la famille Brouillet, venant de Nice, s’installe dans la bâtisse qui longe le ruisseau Garguéhos. Avec ma famille j’arrive de Bourges le 3 janvier 1974. Nous occupons le bâtiment situé sur l’avenue de la
Libération (appelé par la suite Maison de la Révélation) . Reste une maison vide, rue Jean Lebas (la future Maison de la Sainte Parole), destinée à une troisième famille, qui ne viendra jamais. Les apparitions de Jésus vont bouleverser tous les projets.
Sitôt improvisée une chapelle dans une ancienne salle de restaurant, le frère André Brouillet, nos épouses Christiane et Paulette, et moi, nous nous attaquons de nos mains à une oeuvre considérable de réfection et de transformation des bâtiments, qui durera plusieurs mois, et même plusieurs années sur des points moins urgents. Nous entassons sable, briques, ciment, plâtre, tuiles, bois, matériel électrique, peinture.
C’est au milieu de ce chantier, de meubles en désordre, de bagages non déballés — ce n’est pas même dans la chapelle ! —, à un homme fatigué par son déménagement, qui dans ce moment a raccroché la soutane pour la salopette, plus occupé de travaux que de religion, que la nuit du 14 au 15 janvier 1974 l’envoyé de Dieu, Jésus, va survenir.
LES SIGNES ANNONCIATEURS :
Dès le 5 ou le 6 janvier une clarté, sensible à travers mes paupières, me réveille chaque nuit. Entre mon lit et le plafond, je vois des flammèches qui dessinent grossièrement dans l’air la forme de mon corps allongé. Chacune dure un instant, aussitôt remplacée. Ces occultations exaspèrent mon regard ; j’ai parfois la
nausée. Certaines nuits, les murs, le plafond et les meubles se couvrent de luminescence. Elle dure parfois si longtemps que, la fatigue s’imposant à mon émotion, je me rendors avant qu’elle ne disparaisse. Inquiet, mais ne sachant pas quel sens donner à ces signes, je prie pour en être délivré.
La nuit du 14 au 15 janvier 1974, vers vingt-trois heures trente, la clarté me réveille à nouveau.
Je ne vois que quelques flammèches et peu de luminescence; il fait donc sombre.
Tandis que je prie sous mon drap, espérant chasser le phénomène, sur lequel je jette de temps en temps un oeil anxieux, une voix douce — voix féminine ? — m’appelle. La voix m’ordonne: «Lève-toi, va dans tel lieu !» Alors les flammèches s’avivent, s’enflent et éclairent la chambre assez pour que je puisse me lever sans allumer de lampe.
LES APPARITIONS DE JESUS :
Je me lève. Je tremble de peur et de froid. Dans le silence qui suit l’appel, je perçois un bruit léger dans la direction que je dois prendre. J’ouvre doucement la porte de la chambre, je marche sans allumer dans la maison pleine de nuit. Je tire devant moi par pudeur — pourquoi ne pas l’avouer ? — mon tricot de corps, parce que je me suis jeté tout à l’heure dans mon lit sans pyjama, épuisé. D’émotion, je n’ai pas eu le réflexe de me couvrir en me levant. J’avance avec précaution, évitant de heurter les gâchoirs à plâtre, les caisses à outils, les piles de briques, les meubles garés ici et là. Un clou m’entre dans le pied, je me mets à boiter.
Dans l’encadrement de la porte, qui s’ouvre sur le lieu où je suis appelé, je vois une lumière très blanche. Je claque des dents. Passant la tête dans l’encadrement de la porte, stupéfait et dans l’effroi à son comble, je vois Jésus debout. J’ai honte d’être presque nu. Jésus étend vers moi une main à plat, puis, en repliant ses doigts sur la paume, il me fait signe d’entrer.
Jésus a le teint foncé, l’oeil et le cheveu noirs, épais, le nez busqué, la bouche grande, sévère. Un oriental typique. Saurai-je jamais pourquoi certains voient dans ce type oriental la preuve qu’il ne peut pas s’agir de Jésus ? Un exemple : En septembre 1974, je recevrai la visite de trois femmes, qui, sans préambule, placeront sous mes yeux l’image d’un Jésus blond aux yeux bleus. Avec brusquerie, comme des policiers voulant confondre un suspect : «Est-ce lui ? — C’est tout son contraire, devrai-je leur répondre —. Donc, c’est Satan que vous avez vu, Satan seul a le teint mat, l’oeil et le poil noirs.»
Et l’une d’elles conclura, avec la décevante subjectivité de beaucoup de nos frères croyants : «C’est étonnant, vous qui avez les yeux si clairs, le type celte, que vous acceptiez que Jésus puisse avoir l’air d’un rastaquouère (sic).»
Mais Jésus — plus qu’une apparition au sens traditionnel, une présence en chair — ne révèle pas que son type oriental. Son port est royal ; il a une sublime et impressionnante dignité qu’accentue sa très haute taille. Celle-ci peut être évaluée ; comme il va et vient, Jésus se tient souvent près d’une porte de 2,08 m (je la mesurerai plus tard) ; il paraît plus petit de 20 cm tout au plus. L’homme Jésus rayonne de noblesse et de force. Ce n’est pas un fantôme ; c’est bien un homme. Si la lumière blanche qui transpire de tout son être, sauf des yeux, des cheveux et de la barbe, et sa manière de me quitter par élévation à la fin de chaque veille montrent son état transfiguré, j’aurai maintes preuves de son corps matériel, pondérable. Un jour Jésus posera sa main sur ma tête, je sentirai parfaitement le poids du bras. Un autre jour il oindra mes lèvres, j’en sentirai le toucher, je distinguerai les sillons de la peau et les ongles, normaux.
De plus, Jésus qui m’apparaît n’a pas la fixité des visions de l’imagerie. Il va et vient posément ; il se montre de face, de profil, cependant jamais de dos. Ses pieds nus reposent sur le sol, font craquer les gravats. S’il longe un objet, le frôlement est audible. Je me souviens avoir dit ou écrit : «Il aurait pu faire un accroc à sa tunique.» Comme dans le lieu de l’apparition, les murs béent, les portes sont dégondées, les cheveux de Jésus flottent dans le courant d’air glacial. Le mois de janvier 1974 est froid à Arès.
Néanmoins, il est des détails surnaturels dans cet homme Jésus, pour la description desquels nos sens n’ont ni mots, ni mesure. D’abord, sauf les endroits pileux, toute sa personne diffuse une clarté blanche, je l’ai dit, mais une clarté qui n’évoque pas la physique terrestre.
«Pas vraiment une lumière, une luminescence, proche de celle qui éclairait les murs et les meubles de ma chambre dans les jours précédents l’apparition. Cette sueur blanche se transmet à l’air environnant.
Si je fixe ce halo indéfinissable, je perds toute notion de distance entre l’apparition et moi. Soit cette clarté décèle une dimension qui nous est inconnue : l’infini, soit elle aplatit la perspective terrestre. Clarté probable de la transfiguration, qui fait oublier les couleurs, lesquelles pourtant sont là, bien discernables, comme celles de la peau et des lèvres, sous la brillance. Ensuite, il y a sa tunique qui colle au corps robuste, musclé, qui cloque comme une longue chemise de nuit mouillée. Il y a le parfum, souvent sensible dans toute la maison plusieurs heures encore après l’apparition, et le timbre de voix, indescriptible, «une voix qui à elle seule m’aurait jeté dans la prosternation et la crainte», ai-je écrit dans le premier liminaire de L’Évangile Donné à Arès.
Devant cet homme — car c’est un homme, glorieux et transfiguré, mais entier — d’une majesté indicible, j’ai peur en effet. «Non la peur physique de recevoir un mauvais coup, mais celle de me sentir traversé, lu, jugé dans les recoins les plus reculés de mon esprit, de mon coeur, de mes secrets. Mes péchés les plus subtils
étaient nus sous ce regard. L’oeil de Jésus pèse sur moi. Les pensées qui me traversent, tandis qu’il parle ou qu’il m’observe en silence, modifient son regard ou provoquent ses réponses à mes questions muettes. Entre humains la chair peut cacher les pensées, mais à l’être céleste la chair ne cache rien. «Je me sentais sale, pleins de secrets inavouables, de pourriture, exhibés sous cet oeil. »
Que dire encore ? Jésus porte trois stigmates : un au dessus de chaque poignet, mais un seul au bas de la cheville gauche, donc trois en tout. Une nuit, je m’interrogerai sur cette unique plaie inférieure, contraire à la tradition ; Jésus captera ma pensée et répondra : «Je fus crucifié le dernier. Un fer manquait ; un seul pied fut ferré ; la cheville libre lui fut liée ».
EN QUARANTE VEILLÉES JÉSUS DICTE «L’ÉVANGILE DONNÉ À ARÈS».
Jésus devant moi, je tombe à genoux; je tire plus fort sur mon tricot de corps jusqu’à mi-cuisse. J’entends ces mots par quoi commence L’Évangile Donné à Arès : «Redresse-toi, homme Michel, debout ! Cesse tes pleurs et ton tremblement ! Que cesse ta honte ; Je t’ai mis nu pour te revêtir d’un manteau neuf.»
Jésus se tait un instant, puis m’ordonne: «Écris !» Je trouve un papier d’emballage de plâtre et un crayon de charpentier. Je note ses premiers mots de mémoire et à toute hâte pour rattraper sa parole car, déjà, il parle à nouveau. C’est pourquoi les premières phrases sont imprimées en italique ; sûres quant au sens, elles sont moins sûres littéralement. Au long de L’Évangile Donné à Arès on trouve en italique, pour la même raison, des mots, parfois des phrases, reconstitués sur l’original griffonné ou noté en style télégraphique quand mon écriture est en retard sur la parole de Jésus. Il ne dicte pas comme un instituteur, il parle apparemment sans se soucier de mes difficultés à le transcrire, et mon écriture semi-typographique n’est pas très rapide.
Quarante fois Jésus va dicter son message jusqu’à la nuit du 12 au 13 avril. Mais ce n’est qu’à partir de la dixième veillée que je comprends que son message sera peut-être long. L’écritoire improvisé des premiers jours est amélioré et laissé en permanence sur le lieu. Tout naturellement je donne à chaque dictée le nom
de veille ou veillée, parce qu’elle a toujours lieu la nuit. Les circonstances seront toujours les mêmes : Une voix m’appelle entre 23 h et 3 h. Invariablement, quand j’arrive sur le lieu de l’apparition, Jésus m’y a précédé et m’attend. Par contre, à l’issue de chaque veille, je vois disparaître Jésus en ascension ; il semble glisser, bras en avant, dans le lambris du plafond comme un ours blanc dans la mer.
Cependant, ce face à face ne se réduit pas à des dictées monotones. Jésus n’est pas l’estafette qui débite impersonnellement le message de Dieu, puis se retire. S’il ne répond pas à l’image populaire d’un Jésus intime, tout en chaleur, en confidence et en compassion, son comportement souverain et sévère n’est pas de ceux que repousserait la ferveur populaire, parce qu’un coeur y bat. Jésus éprouve des émotions. Le timbre de sa voix est très grave, un peu couvert, mais l’accent «chante». Son visage, plutôt sévère, peut s’animer. Alors, il ne regarde plus l’infini d’un regard que la matière n’arrête pas, son oeil se pose sur tout, souvent sur moi. «Enfin, dans ces moments, je ne me sentais plus traversé comme l’écume de l’humanité ; Jésus regardait en moi la personne». Ce «regard d’homme à homme» a pour moi d’autant plus de prix que je remarque, et que je ressens avec douleur, «quel effort représente pour Jésus d’apparaître en ce monde pourri de péchés — en commençant par moi — comme l’épreuve de descendre dans une fosse infecte. J’avais le sentiment de puer de l’esprit, et qu’il fallait vraiment beaucoup d’amour pour m’approcher et pour me regarder.»
Jésus bouge, il tourne et remue la tête, les bras, les mains, très posément. Ses sentiments se traduisent plutôt «par l’étrange variation de la brillance de l’oeil.». Le plus souvent accroupi, j’écoute et j’écris, déférent et silencieux. «Je ne parlais pas, mais si je cachais quelques émotions et interrogations dans les battements de mon coeur, la voix de Jésus ou son regard montraient qu’il les avait décelées. Il pouvait alors interrompre son message pour répondre de vive voix à ma question muette. Ces réponses ne figurent pas dans L’Évangile donné à Arès, mais, gardées à jamais dans ma conscience, elles m’ont souvent aidé à mieux comprendre le sens de la Parole, surtout au début.»
«L’EMBARRAS S’ORGANISE» AUTOUR DU TÉMOIN.
Une nuit sur deux environ (40 apparitions en 88 jours) Jésus me visite, mais le jour rien ne laisse deviner l’événement. Seul mon entourage immédiat: mon épouse, la famille Brouillet, et Michel Clément, un voisin qui effectue les travaux de tuyauterie, devenu depuis un ami, connaît l’épreuve que je subis. Ils me voient tourmenté, rendu irritable par une révélation qui bouleverse mes convictions et remet en cause ma vie religieuse.
L’épreuve se transmet à tous, tous se sentent bientôt concernés au point que nous n’en parlons presque pas de peur d’attiser la question qui nous perturbe intérieurement : Où tout cela nous entraîne-t-il ? Pour oublier l’éprouvante expérience surnaturelle de la nuit, je me tue le jour au travail de réfection et de transformation de la maison avec frère André. J’en refais l’électricité entièrement ; frère André mure des portes, en ouvre d’autres, bâtit et répare de tous côtés ; avec ma femme nous rampons sous les combles pour traiter la charpente rongée par le capricorne.
Un matin, je gratte dehors une caisse à plâtre, le curé de Lège vient à moi. «Vous êtes le bienvenu dans la région,» dit-il au clerc orthodoxe que je suis encore ; il m’invite aux réunions oecuméniques qui rassemblent à Cassy et à Andernos des prêtres, des pasteurs et des fidèles. Comme je n’ai pas encore une conscience
d’ensemble du message que me dicte Jésus, j’accepte. J’en espère même un heureux dérivatif. Celui-ci durera jusqu’au moment où L’Évangile donné à Arès m’étant connu aux deux tiers, je ne pourrai plus me cacher à moi-même ni cacher aux autres ce que Dieu veut. Alors, ma présence au colloque religieux posera un problème à tous ses membres.
Dans Arès les bonnes gens, d’abord surpris qu’un clerc orthodoxe s’installe chez eux, m’appellent vite «le pope», et me considèrent comme une manière de pieux consolateur. Beaucoup viennent me confier leurs malheurs, demander un conseil, une prière, jusqu’au jour où ils déduisent de la disparition de ma soutane et des bruits qui courent que je quitte l’église. «Pourquoi ? se demandent-ils entre eux — À cause de soi-disant apparitions, répondent les mieux renseignés.» À partir de ce moment, le prestige ecclésiastique m’abandonnant, «l’embarras s’organise», dis-je à mes proches en plaisantant amèrement.
L’embarras des collègues cléricaux, prêtres et pasteurs, qui m’ont joint à leur club oecuménique, est plus grand encore. Comme font toujours les gens d’église, ils n’abordent pas le sujet devant moi. Simplement, pour me signifier mon exclusion, ils ne m’envoient plus la voiture qui, les jours de réunion, me prend et me ramène chez moi.
Plus tard, quand sera édité L’Évangile donné à Arès, certains iront jusqu’à considérer mon influence comme un péril des plus graves pour les âmes ; une mise en garde circule discrètement: «Il ne convient pas à des chrétiens de rencontrer cet homme-là.» Du côté de l’église orthodoxe l’embarras fait bientôt place aux condamnations. Je ne reverrai jamais mes amis ecclésiastiques, même les plus familiers ; sauf un, peut-être pris de remords, de réminiscence d’amitié et d’estime, qui me rendra visite en 1977, et qui d’ailleurs évitera de parler des apparitions et du message de Jésus.
Jusqu’à mes amis laïcs, des amis de très longue date parfois, qui cesseront peu à peu tout contact, toute correspondance. Je semble devenu la peste. Pour un homme qui a toute sa vie cultivé l’amitié, c’est une profonde souffrance. Naturellement, les calomnies pleuvent. Elles ne viennent pas des amis et des
relations, qui se contentent de s’éloigner et de se taire. Elles viennent, comme toujours, de ceux qui ne me connaissent pas, mus par ce penchant commun qui est de traiter tout fait spirituel comme un simple fait d’opinion, et donc de le refuser et de le flétrir sans obligation de respect et de scrupules, et sans risques de représailles. «Je suis un pécheur, dis-je, je ne mérite ni éloges ni considération particulière. Mais pourquoi la flétrissure et des histoires à dormir debout ? Elles outragent dans le témoin du surnaturel, aussi indigne soit-il, le Christ qui l’a visité ; elles matelassent les oreilles contre son message. Une fois de plus dans l’histoire de la révélation, il faudra lentement dégager l’événement d’Arès et sa Parole de dessous les ragots, les mensonges, les futilités de sacristie, de salon, de boutique.»
C’est la grande solitude du prophète. Le réconfort viendra de la conversion et de l’estime d’hommes et de femmes qu’enflamme La Révélation d’Arès, pour la plupart des inconnus, des méconnus ou des indifférents d’hier devenus des soutiens. Les frères remplacent les amis.
Arès, 1er novembre 1983 Frère Michel
NOTES ET RÉFLEXIONS DU TÉMOIN lors des théophanies de 1977
Ces « Récits, Notes et Réflexions » sont de ma main, mais c’est à la soeur Christiane, mon épouse, qu’ils doivent d’exister.
LES SIGNES ANNONCIATEURS (Noté en septembre 1977).
À la fin du mois d’août, séjournant dans le Var, je me suis senti à plusieurs reprises ceint comme d’un anneau d’air ; une pression étrange. À d’autres moments, une main invisible me poussait dans le dos, sur la poitrine ou sur l’épaule, sans raison et sans direction, une poussée chahuteuse comme celle des camarades dans les rangs à l’école. Parfois des sons et des lumières m’accompagnaient de même sans rapport avec un moment précis de la journée, ou avec un acte ou une pensée déterminés.
Après deux semaines j’ai identifié ces phénomènes, devenus graduellement plus nets et forts, à certains phénomènes qui avaient précédé les apparitions de 1974. La peur, grandie en panique la nuit, me saisit. Il y a des épreuves qu’on subit la première fois avec souffrance mais témérité, par surprise ou ignorance. Quand ces épreuves reviennent, on les fuit, même plusieurs années après.
Jamais je n’ai mieux compris, jamais je n’ai fait autant mienne la prière de Jésus : Père, que passe loin de moi cette coupe ! Dans les circonstances qui sont les miennes, j’y ajoute : « Pourquoi, Père, t’approches-tu de moi encore ? Pourquoi m’imposer l’épreuve du surnaturel comme l’épreuve de l’air au poisson ? »
Non seulement je m’efforce d’oublier l’approche du moment redouté, mais, sortant à peine d’une autre épreuve — celle subie des incrédules, des fanatiques et des moqueurs à la suite de L’Évangile Donné à Arès —, je souffre à l’idée de devoir bientôt annoncer : « Dieu s’est encore manifesté. Voilà ce qu’il dit ! » Trois années et demie de lutte passive ou active contre cent problèmes causés de l’intérieur ou de l’extérieur par les apparitions de Jésus ne m’ont pas disposé à l’enthousiasme, aussi forte soit ma foi.
Écartelé entre la crainte de Dieu et la crainte des hommes, je me sens maintenant insoumis aux signes qui m’annoncent une nouvelle rencontre avec le Céleste. Je me révolte contre cette idée, je m’efforce de l’ignorer au point de la retarder peut-être assez longtemps, au risque pour moi de moins prier, d’oublier un peu ma mission, et même de m’étourdir à des projets de voyage.
J’ai eu un moment l’espoir de m’être trompé, ou d’avoir écarté l’épreuve, mais le 17 septembre, étant revenu à Arès, un désir irrésistible de me purifier, de passer ma tunique et de m’enfermer dans la maison de prière me prend. Je prie et je psalmodie seul longuement. Brutalement tout vibre autour de moi ; je dirais l’air secoué par un battoir énorme. De ce tourbillon sort une voix : « Sois prêt ! » Ce jour, ma certitude qu’une manifestation surnaturelle se prépare est confirmée.
1. PREMIÈRE THÉOPHANIE (2 OCTOBRE 1977)
A. DEBUT DE LA MANIFESTATION DE DIEU :
Dimanche 2 octobre 1977.
Il est 4 h 05 à mon réveil quand une rumeur venue du dehors me tire de mon sommeil. Voix rêches, cliquetis, froissement mélangés. J’écoute ; la rumeur fluctue ; par moments un bruit s’impose aux autres, chacun tour à tour ; parfois la rumeur s’atténue, devient un bourdonnement lointain.
De mon lit j’écoute assez longuement. Peu à peu des lueurs parviennent du jardin au fond du couloir où s’ouvre notre chambre. J’allume mon chevet. Christiane dort profondément, la joue gauche posée plissée sur sa main. Je la secoue par l’épaule pour la réveiller ; sa peau est froide ; l’effet sur moi est angoissant. Je la secoue plus encore, en vain. Je me rends à l’évidence : elle est léthargique.
Je me lève, je vais dans les chambres des enfants. En traversant le couloir, j’aperçois à l’autre bout, dans l’antichambre, des reflets lumineux violents. Je pense aussitôt au 10 décembre 1975.
(Le 10 décembre 1975, 5h30 du matin, le frère Michel est levé et travaille à son courrier. Une lumière surnaturelle aveuglante, vue depuis des localités éloignées d’Arès, apparaît sur le toit de la Maison de la Sainte Parole encore en chantier. Elle cause au frère Michel une conjonctivite douloureuse ; il est quasiment aveugle pendant deux semaines ; sa vue en restera très affaiblie.
Les témoins publics de la prodigieuse illumination, trouvée par voix d’annonce dans le journal « Sud-Ouest », refusent d’apporter officielement leur témoignage à un fait qu’ils attribuent à un O.V.N.I. et non au surnaturel. Pourtant aucune « soucoupe » n’était visible dans la lumière, mais la mentalité moderne accepte plus facilement la soucoupe que Dieu. )
Mais, en l’observant, la lumière est différente. Anne et Nina sont froides, léthargiques comme leur mère ; seule Sara, la plus petite, paraît avoir sa température et son sommeil habituels. Je passe dans la salle de bain. J’enfile un pantalon, ma tunique et des sandales. Ému, les jambes lâches, j’entre dans l’antichambre. Le bruit s’amplifie ; je pense au grondement d’un lion à l’approche d’un ennemi. Je ne sais pas comment je trouve encore le courage d’avancer. Par la porte-fenêtre je vois l’air brasiller, et aussi devenu diaphane, comme si je n’apercevais la Maison de la Sainte Parole qu’à travers un immense diamant scintillant de mille feux. Sans réfléchir, je prends dans la corbeille sur la commode la clé de la maison de prière et je sors.
L’air que je traverse est épais, mouillé, mais il ne pleut pas. Tout autour de moi éclatent les brasillements qui m’effraient. La rumeur m’enveloppe, de plus en plus forte. Soudainement ce bruit me fait dire : « Dieu des Armées… Dieu des Armées…, maintenant je comprends. » Je comprends pourquoi les témoins bibliques, qui durent vivre la même expérience surnaturelle, appelèrent l’Éternel Dieu des Armées. Des compagnies en armes semblent s’agiter, s’interpeller partout ; une troupe céleste fait escorte à Celui qui m’attend dans la maison de prière. De l’intérieur de celle-ci, une autre lumière traverse les verres de couleur des fenêtres.
J’entre dans la maison de prière. Des murs coule de la lumière. Mais surtout, se joignant au concert des bruits extérieurs, toute la charpente craque, grince, émet des bruits indescriptibles comme ceux de projectiles tirés dans la longueur des chevrons et des pannes que je m’attends à voir exploser à chaque seconde. L’air semble former des cristaux énormes, il remue en géométries pointues, carrées.
Spectacle impartageable. Je tombe sur le sol et je crie : « Dieu ! » !Le front contre le carrelage je reste longtemps, je crois, au centre de ce bouleversement. Comme la nuit du 15 janvier 1974 j’ai très froid, mais cette fois j’éprouve en plus une peur physique atroce : celle de sentir à tout instant comme le bâtiment s’effondrer sur moi. Même le sol est agité, ondule.
Peu à peu la lumière qui coule des murs s’embrase. On dirait qu’un souffle énorme pousse un feu. Au milieu de la maison de prière, à hauteur du premier rang de sièges, se dresse un bâton de lumière, d’une lumière plus blanche et plus aveuglante que toutes les autres. Un bâton haut et mince comme une canne, insoutenable pour mon regard qui le perçoit par clignements. C’est de ce trait lumineux vertical que me parvient la voix, qui me dit : Voilà le Retour, ou bien Tu vois le Retour.
B. DÉROULEMENT DE LA PREMIÈRE THÉOPHANIE.
(Noté rétrospectivement en novembre 1977)
À ma place, dans la Maison de la Sainte Parole, il y a toujours un petit écritoire. Il me permet de noter les recommandations ou les adresses des pèlerins à l’issue des réunions de prière. J’y inscris aussi des réflexions personnelles pendant mes méditations. C’est sur cet écritoire que je transcris le message que me livre la voix sortie du bâton de lumière. Bien que sa lumière fût différente d’un feu, et beaucoup plus violente, ce bâton, combien de fois m’a-t-il fait penser à un buisson fameux !
Le 2 octobre, dès les premiers mots du message je suis surpris, presque indisposé, par sa syntaxe et son vocabulaire pauvres, son expression dépouillée à l’extrême. Cette langue apparemment primitive, en fait primordiale, me donne des difficultés d’adaptation. Peu à peu, cependant, comme l’enfant maternelle, mon esprit se familiarise avec les mots et les tournures du message que je
reçois en 1977,, donné par Quelqu’un de beaucoup plus haut, de beaucoup plus « vaste », d’infiniment plus important que l’envoyé céleste de 1974 ; un message de l’Éternel lui-même. Écoutez et jugez de la langue étonnante :
(Quand) le Bon (Jésus) descend, il est bas. Il va (à) droite, il est (à) droite… (Si Moi, Dieu,) Je descends, Je suis haut. (Si) Je vais (à) droite, Je suis (au) milieu. (Je suis) Etalé.
Le sens de ces Paroles est confirmé et précisé par les révélations qui suivent au long de l’automne : Jésus, quoique glorifié, nanti d’une mission divine qui le pourvoit d’une gloire qu’aucun homme entré dans l’éternité n’a jamais reçue auparavant — peut-être même aucun ange —, demeure soumis à des limites, celles de la royauté terrestre dont il est chargé. Il est soumis aussi à des lois quasi physiques ; notamment il se déplace, alors que l’auteur du message de 1977 se dit étalé, c’est-à-dire celui qui est partout en même temps.
C. LA FIN DE LA MANIFESTATION DIVINE.
(Noté le jour même, 2 octobre 1977 )
Dieu a fini de délivrer son message .J’attends. La voix se tait. Ce que j’assimilais tout à l’heure à des « tirs » — fracas arrivant par pulsions comme des projectiles dans le bois de la charpente — s’espace. Peu à peu le bois geint plus qu’il ne craque.
À travers mes paupières — fermées devant l’éclat du bâton de lumière — je perçois que la clarté baisse. J’entrouvre les yeux ; le bâton de lumière a disparu. Les murs ont retrouvé leur blancheur de chaux, mais ici et là se forment encore des sortes de tourbillons de particules lumineuses, vortexs aériens de couleur rose-orangée, qui durent un instant et s’éteignent pour réapparaître aussi subitement quelques mètres plus loin, ou plus haut, ou plus bas.
Il me semble que ces phénomènes se forment maintenant dans le fond de mon oeil, profondément impressionné comme un film photographique par l’intense lumière tout à l’heure. Je me frotte les yeux, je suis dans un grand malaise. Nature précise, je souffre de ne pas pouvoir exactement me situer, hors ou dans l’événement que je viens de vivre.
À travers les vitres colorées des ouvertures, je vois l’aube. Le bois craque encore par instants, comme des grosses braises qui se refroidissent. Ces bruits, c’est net, sont extérieurs à moi ; ils me rassurent : l’événement ne s’est pas déroulé dans mon esprit, mais bien réellement autour de moi.
J’ai froid. Alors, passant ma main gauche sur le dos de ma main droite, je découvre que je suis couvert de rosée. Je me lève péniblement, ankylosé. Je m’approche d’un mur, je le caresse, lui aussi est couvert de rosée. J’aspire profondément : l’air est saturé d’eau. Un énorme phénomène de condensation fait suite au surnaturel dans la Maison de la Sainte Parole, habituellement si saine.
L’humidité et sa fraîcheur, l’épuisement, m’abattent ; je claque des dents. Je sors. Au dehors la même condensation étale la rosée partout, sur le sol, les façades, les toits. L’humidité alourdit ma tunique.
Ce n’est qu’en rentrant chez moi que je sens le sec, qui ranime mes forces. Je sors tout à coup de mon abattement. Je retourne d’un pas vif dans la maison de prière. J’y prends le bloc sur quoi j’ai noté le message du bâton de lumière, et, serrant précieusement le papier mouillé, je retourne chez moi.
2. LA DEUXIÈME THÉOPHANIE (9 OCTOBRE 1977)
A. L ‘ange apparu sur la plage le 8 octobre (Noté le lendemain)
Le 8 octobre, quelques heures avant que Dieu ne m’appelle dans la Maison de la Sainte Parole, je fais une marche jusqu’à la plage. Debout sur le sable mouillé, je hume la brise marine. Je contemple ce bassin d’Arcachon qu’en quatre ans j’ai appris à apprécier chaque jour davantage, si varié d’une marée à l’autre, d’un ciel à l’autre. Les bateaux clapotent près des claires. Le paysage, les bruits, l’air rincent mon esprit de ses peines ; j’oublie l’affreux insecte ecclésiastique, qui m’a chargé de ses élytres dorés le jour précédent. Je suis rasséréné ; je ne pense plus qu’à ce que je vois : « Tiens, dis-je en moi-même, beaucoup de touristes de l’été ont encore laissé là leur bateau. »
D’ordinaire, les voiliers de plaisance sont tirés à terre et emportés vers les garages d’hivernage dès la fin de septembre. C’est dans l’instant où mon esprit est détendu, porté sur ce détail futile, que je sens près de moi une présence.
À dix mètres à ma droite, sortant de nulle part — sur une plage on voit loin ; or, je n’ai vu approcher personne — un être très beau me sourit. Je le distingue à la fois bien et mal ; une seconde il me semble près, l’autre seconde il me paraît loin.
Flotte-t-il au-dessus du sable ? Cela aussi je ne peux le dire. Sa stature est d’un humain normal ; dans son ensemble, il est d’un bel ocre pâle avec des cheveux plus clairs. Il ne cesse pas de me sourire. Sans crainte, je m’avance vers lui, mais la distance qui nous sépare ne varie pas. Je parcours ainsi plusieurs dizaines de mètres, jusqu’à me trouver à la hauteur du club nautique ; l’être souriant n’est jamais atteint.
Je jette un coup d’oeil derrière moi, à gauche et à droite, je n’aperçois, déjà sombre dans le soir, qu’un homme du côté du club. Je crois qu’il s’agit de M. Dubet, le parqueur qui demeure là. Il vient au bord de l’esplanade comme intrigué, scrute un moment dans ma direction puis dans la direction de l’être surnaturel qui me sourit toujours. Cet homme qui observe me gêne, bien qu’il soit à une quarantaine de mètres ; j’éprouve la honte d’être dans une situation bizarre, impossible. Je tourne les talons et je reviens sur mes pas vers l’aérium, comme si je venais d’être surpris en compagnie d’un indésirable.
Alors la voix de l’être souriant m’atteint au coeur. Je ne crois pas que mes oreilles l’entendent, mais dans ma poitrine je la perçois, comme un murmure fort qui monte du sol par mes jambes, mon ventre, jusqu’au coeur. Je me retourne et dans les cheveux clairs de l’être toujours souriant étrangement, qui m’a suivi, je vois briller je ne sais quoi. Sa voix me dit : « Où fuis-tu ? » Puis les paroles que voici entrent en moi ; elles disent à peu près, si ma mémoire me les rappelle bien : « Tu ne t’es pas illuminé toi-même. Tu t’étais réjoui tout ton saoul des joies de la terre. Longtemps le Maître de Tout t’avait recherché, tu lui avais échappé de nombreuses fois. Mais à présent tu es dans sa Paume, et Il t’y tient fortement. Tu as le pouvoir de transmettre (sa Parole). »
L’ange — car c’est peut-être un ange — poursuit : « Le Maître redouble d’attention et de soins pour toi chaque fois que les voix du monde t’attirent encore. Il a réuni pour te guetter, t’éviter des faux pas, plusieurs serviteurs du Trône. Ils discutent de la façon de te faire accomplir ta mission. Ses deux plus grands serviteurs m’envoient près de toi. Tu me vois ; ensuite tu me verras encore, mais rarement. Cependant, je suis là ; je vois tes actes bons et tes actes mauvais. Je vois tes hardiesses pour le Maître de tout, et je vois tes lâchetés. »
Tandis qu’il parle en dedans de moi (je suis sûr que c’est lui qui me parle), l’être souriant, être céleste, peut-être un ange, paraît indifférent à ce qu’il prononce. Malgré son sourire ineffaçable, il donne l’impression d’être perdu dans des pensées profondes, et pourtant, par éclairs, quelque chose d’avisé et d’obligeant luit dans son regard. Il vient de prononcer dans ma poitrine ses dernières paroles, il irradie tout à coup d’une chaleur de brasier. En quelques secondes mon visage cuit ; je recule devant ce « feu ». Dans le flottement de l’air échauffé autour de lui l’être céleste disparaît.
La nuit est près de tomber. La température redevient rapidement normale et même, par contraste, me fait l’effet du froid. Sous la dernière clarté du jour je m’approche du lieu où l’envoyé des serviteurs du Maître de Tout se tenait debout, mais sur le sable rien, pas d’empreinte de pied, pas la moindre trace d’effleurement.
Peut-être était-il plus loin, ou plus près ? J’examine la plage tout autour du point où je voyais l’ange ; sur le sol il n’y a que des marques habituelles. Je rentre à la maison, méditatif, mais paisible. Encore quelques heures et, dans le courant de la nuit, l’appel divin va pour la deuxième fois être lancé vers le monde depuis la Maison de la Sainte Parole.
B. DÉBUT DE LA DEUXIÈME THÉOPHANIE (Noté le 9 octobre 1977)
9 octobre au matin. C’est à 3 h 15 que, cette nuit, les bruits d’armée me réveillent. Sitôt ouverts, mes yeux voient, comme le 2 octobre, les lueurs parvenant depuis le jardin jusqu’au fond du couloir où s’ouvre notre chambre. Je secoue Christiane. Comme le 2 octobre elle est léthargique. Léthargiques, sauf Sara qui est très chaude et profondément endormie, sont aussi mes filles Nina et Anne, sur lesquelles je me penche dans leur chambre.
Au-dehors la rumeur fluctue, passant du bourdonnement sourd au cliquetis bruyant. Jusqu’alors les choses se passent comme elles se sont passées sept jours plus tôt. Je m’habille dans la salle de bain, puis j’entre dans l’antichambre. De là déjà, observant derrière les vitres de la porte-fenêtre, je me rends compte d’un changement : la lumière, qui ne coulait qu’à l’intérieur de la Maison de la Sainte Parole le 2 octobre, ondoie le long des murs extérieurs, plus fortement le long du pignon sous le campanile.
Derrière la porte-fenêtre, paralysé par l’appréhension de sortir, je fixe le phénomène lumineux : une lave qui serait blanche au lieu de rouge, qui coulerait le long du mur, et semblerait par veines remonter à contre-courant dans la coulée de lumière, moins intense en bas, comme refroidie au cours de sa descente.
Dans ce moment d’émotion intense, je trouve le moyen de penser ; je découvre que les mots religieux pour décrire le surnaturel sont artificiels, une invention cérébrale, non le fruit de l’expérience, des noms fictifs, conventionnels, sans valeur objective, qui ne donnent aucune connaissance des choses désignées. Je comprends que ceux qui parlent du surnaturel ne l’ont jamais vu et n’ont rencontré personne qui l’ait vu. De quel mot puis-je user pour désigner cette coulée de lumière qui a les dimensions d’un solide ou d’un fluide ? Si, depuis le 2 octobre, Christiane mon épouse, ne me priait pas de décrire tout ce que je vois et entends, même tant bien que mal, je resterais muet.
Je suis certain de ne pas pouvoir exprimer la réalité que j’ai sous les yeux comme celle, tout aussi indescriptible, qui emplit mes oreilles. Je me sens très malheureux de voir ce que les autres ne peuvent pas voir. Ceux qui ont quelque lourd secret à garder doivent, je l’imagine, éprouver le même poids.
À travers la porte-fenêtre j’entends mon nom ; deux syllabes nettes : Mi-chel , qui tombent en moi comme des plombs.
Ce n’est pas la voix de Dieu, que je connais depuis le 2 octobre ; c’est une voix terrible. La terreur me saisit ; je me sens pris en faute de couardise, ou de lassitude, je ne sais pas très bien. Rappelé à l’ordre, je me précipite au-dehors.
Je commence à traverser le bruit d’armée qui, comme le 2 octobre, s’amplifie au fur et à mesure que j’approche de la Maison de la Sainte Parole, jusqu’à devenir un rugissement énorme. Je m’arrête aux deux tiers du trajet, soudain pacifié par une idée idiote : En une seconde je me suis mis à croire très sérieusement qu’il me suffirait de rire et de rebrousser chemin pour que tout ce surnaturel s’évanouisse comme une illusion. Il monte en moi tout à coup un tel amour de la vie terrestre que je m’imagine qu’il peut avoir raison, en un instant, de cette épreuve descendue du Ciel. Il me paraît impossible qu’un désir si intense d’être ailleurs, d’oublier, de laisser tout cela aux mystiques, à ceux qui courent après le surnaturel sans jamais le trouver, ne puisse pas vaincre le destin que me prépare Dieu. Je sais que c’est lui qui m’attend, et je me sens le courage de le défier.
Je me concentre sur mon espoir d’évasion loin de cette épreuve, sur mon espoir de réveil, si Dieu qui m’afflige n’est qu’un rêve. Mais pas de rêve ; rien ne change autour de moi ; je suis au coeur d’une réalité tenace. La lumière coule toujours depuis le haut du pignon jusqu’au pied du mur sous le campanile, et le bruit éprouve toujours mes oreilles. Peu à peu, pourtant, une odeur merveilleuse m’environne. Elle doit être forte, car, cassé par de gros rhumes fréquents, mon odorat est presque nul — c’est maintenant Christiane qui me sert de nez —. Le parfum merveilleux entre dans mes narines comme une consolation, et je suis sûr que dans ce moment-là c’est la Bonté consolatrice qui répond à mes folles pensées. Je franchis alors la distance qui me sépare encore de la Maison de la Sainte Parole. Surmontant mon appréhension, j’ouvre la porte et j’entre.
C. DÉROULEMENT DE LA DEUXIÈME THÉOPHANIE
(Suite des notes du 9 octobre 1977)
À l’intérieur de la maison de prière, lumières et bruits se reproduisent comme le 2 octobre. Comme le 2 octobre, mû par les habitudes que j’ai dans ce lieu, je me rends à ma place, le dos au poteau ouest ; je m’agenouille, tremblant, attendant le bâton ardent. Comme le buisson ardent devant Moïse, ce bâton est embrasé mais ne se consume pas.
J’attends longtemps sous la charpente qui semble exploser, comme traversée de projectiles, ainsi que je l’ai décrit dimanche dernier.
L’impression d’explosion est telle que, lorsque le fracas se fait plus violent, il s’en faut de peu que je m’enfuie. Le bâton ardent se forme progressivement devant moi jusqu’à devenir intense, insoutenable. Je remarque que le parfum merveilleux flotte à l’intérieur comme au-dehors.
Du bâton de lumière me parvient la voix : « La porte (pour)suit la porte; elles tournent… (Mais, de la) bouche de Yëchou, (de la) bouche de Mouhamad, toi (tu sors comme) le feu. »
La voix continue un peu, puis fait silence un long moment. D’une voix plus forte, Dieu reprend son message par un de ses passages les plus heurtés, les plus lapidaires : « Adame frappe l’arbre de (la) Parole. (Blessure) ouvert(e). L’arbre pleure le sang…. ».( Rév. d’Arès XIV).
Le message se poursuit, puis Dieu s’interrompt à nouveau avant que la nuit ne s’achève, pour autant que je puisse, noyé dans un flot de lumière, me rendre compte de la couleur du ciel au-dehors. La lumière continue de couler des murs, ou bien ruisselle en traînées minces le long des chevrons ; au centre de la salle le plus fort éclat domine toujours, celui du bâton, de lumière.
Entre le bâton ardent et moi, je vois soudain défiler devant moi des dormeurs ou des morts. Diaphanes. S’ajoutant au cliquetis d’armée du dehors et aux craquements ininterrompus de la charpente, un bruit de souffle ; ce son creux rythmé comme de respirations humaines accompagne le défilé sortant du mur à ma droite et entrant dans le mur à ma gauche.
Ce sont des dormeurs ou des morts se présentant sur le flanc, sur le ventre, sur le dos, que déplaceraient d’invisibles porteurs. Certains vont deux par deux, dos à dos ou tête à pied. Tous sont adultes; point d’enfants ; la plupart paraissent d’âge mûr, certains très vieux ; certains sont gras et d’autres, décharnés, ont les os qui pointent à travers la peau.
Hommes ? Femmes ? Aucun sexe ; au bas du ventre rien que la peau ; pas de seins, ni d’homme, ni de femme ; pas de poil non plus, sauf les cheveux. Leurs yeux sont fermés, mais leur bouche est souvent ouverte. Le bruit de souffle est ininterrompu ; je le distingue bien malgré le bruit d’armée au-dehors et les craquements de la charpente. Est-ce la respiration de porteurs invisibles, dont le léger balancement des dormeurs suggérerait la marche ?
Une voix dit, juste derrière moi : « Les prophètes. » Je sens le besoin d’échapper à l’émotion ; je parle au hasard pour me décontracter la poitrine : « Qui est Abraham ? Qui sont Isaac, Jacob ? Lequel est Moïse, lequel Jérémie ? Nahoum ? Isaïe ? Amos ? »
Je dois nommer, comme par automatisme, tous les prophètes bibliques. Mais je n’attends pas de réponse ; parler me fait du bien. Ils passent, dormeurs attendant la résurrection. Cette idée m’angoisse soudainement et je cesse d’énumérer les prophètes en ritournelle pour lancer une vraie question : « Est-ce là des âmes ? Dorment-elles ? » Pas de réponse. Je crie : « Les Hauteurs Saintes, est-ce un cimetière, un dortoir ? N’est-ce pas la Vie ? »
Je ne crie peut-être pas ; peut-être que je pense seulement à m’en faire éclater la tête. La voix revient derrière moi, plutôt douce : « Redoutable, le sort des prophètes ! »
Alors je comprends. Sauf Élie, Jésus et d’autres, qui ont vaincu l’erreur, le mal et la peur, des prophètes peuvent commettre des fautes qui pèsent sur eux plus lourdement que les péchés de ceux qui croient sans voir et sans entendre Dieu ou ses messagers. Le poids de Dieu alourdit l’âme de son témoin, au point que ses efforts ascensionnels doivent être multipliés. Le prophète n’est ni dispensé d’être vertueux ni immunisé contre le péché et l’adversité. Il assume d’un bout à l’autre tous les risques de sa mission prophétique, même s’il ne l’a pas choisie, même si elle lui est imposée directement d’En-Haut. Ici-bas son salaire est celui de l’ouvrier, que lui verse ceux qui reçoivent son message. À la fin, il lui est demandé des comptes ; moment difficile.
Ainsi, Moïse meurt sans même vivre l’achèvement de l’Exode. Au-delà de la mort, combien de prophètes atteignent les Hauteurs et leur Lumière ? Peut-être ai-je vu Moïse et Mahomet dans ces corps pantelants, presque cadavres, figés dans l’inconscience de je ne sais quels sombres limbes, au pied des grands pics de la Montagne Sainte qu’ils avaient tant espéré atteindre. Comme je comprends le sens de : en attendant Mon Jour .
De mon siège je me laisse glisser sur les genoux, je me prosterne, ou plutôt je m’effondre, secoué de pleurs, devant le bâton lumineux. Entre lui et moi défilent encore les dormeurs, ou les morts.
Une pensée consolatrice me traverse : Au moins, les prophètes semblent échapper aux ténèbres glacées. Ces limbes-dortoir ou limbes-cimetière des prophètes sont-ils un des sept Ciels de la révélation, celui qui leur serait réservé ? Un ciel bas, une sorte d’entresol ?
Au bout d’un moment je me redresse sur les genoux. Devant mes yeux passent encore des corps allongés. Certains ont la chair aplatie contre leur civière invisible, la bouche tordue du crawleur en plein effort, mais les bras pendants, sans vie. L’un des dormeurs me paraît parcouru de frissons. Combien ont défilé devant moi ? Plus de cent, je pense.
Enfin, le défilé des prophètes endormis s’estompe, puis disparaît. Les lumières sur les murs et le bâton ardent demeurent. C’est donc que la voix de Dieu se fera encore entendre. En attendant, je récite Père de l’Univers sur Père de l’Univers, tout en observant un point lumineux, gros comme un melon, plus intense que la lumière murale devant laquelle il se promène, entre sol et toit, comme le faisceau d’un projecteur puissant qui cherche. Il monte, descend, fait des cercles. Peu à peu je discerne dans le cercle lumineux des ombres dessinant deux yeux, un nez, une bouche. C’est vague. Pour voir de plus près, je me dresse instinctivement, mais je me rassois subitement, craintif devant le bâton ardent. D’ailleurs, je distingue maintenant nettement le visage anonyme et enfantin — visage de chérubin ? — dans la boule de lumière qui se promène sans cesse dans l’air.
J’attends toujours. Mes doigts ont enflé. Je les ouvre et je les ferme à plusieurs reprises, étonné par cette sensation de doigts boudinés.
À peine mon esprit curieux demande-t-il à ma raison d’expliquer le visage volant et l’enflure de mes mains, la voix de Dieu s’élève du bâton de lumière.
Le message reprend son cours. À force de fixer le bâton éclatant, chaque fois que je lève le nez de mon écritoire — moins pour regarder ce bâton de lumière que pour tenter de surprendre le point d’où sort la voix —, je finis par ne plus voir qu’éblouissements, des constellations d’éclairs. J’en perds la notion des distances et des volumes ; je ne vois plus mon bloc, j’écris à l’aveuglette. Je ne sais plus si le bâton est proche ou loin, sous mon nez ou à l’autre bout de la maison. Les éclairs pleuvent devant mes yeux. Au moment où j’écris ces notes, trois heures plus tard, j’en ai mal sur le haut des globes oculaires, et des éclairs, maintenant en négatif, noirs, éclatent encore au fond de mon oeil.
Dieu poursuit sa révélation. Je comprends le drame de la chair, qui est de s’être désadaptée de la « physique » de Dieu. Je me sens tout chose de ce drame avec mes yeux éblouis et douloureux, ma tunique trempée, mes mains enflées. Ah ! Je voudrais être sans frontière avec Dieu, comme le poisson voudrait être sans frontière avec l’air, quand la ligne le tire hors de son eau. Mon sang frappe contre ma peau et contre mon crâne, comme si lui aussi voulait rompre cette frontière qui l’emprisonne.
L’épreuve de Dieu est morale, parce que son regard, invisible, mais dont vous sentez le percement vif, vous sonde jusqu’au coeur. Elle est aussi physique, parce que vous et lui, vous procédez de deux matérialités (et sans doute aussi de deux matérialismes) devenues incompatibles. Elles étaient admirablement compatibles avant le péché, au temps heureux où Dieu rendait visite à Adam et Ève dans la fraîcheur du soir.
D. FIN DE LA DEUXIÈME THÉOPHANIE (Suite des notes du 9 octobre 1977)
Si dur est aujourd’hui mon effort pour suivre la voix de Dieu, pour ne pas fuir l’épreuve de la lumière et du bruit, si difficile est mon épreuve qu’aucun moment heureux de ma vie ne m’a donné le centième de bonheur que me donne la disparition du bâton ardent, suivie de l’extinction graduelle des lumières et des bruits. Quand je me retrouve seul dans la pâleur du jour terrestre et dans le silence de ce dimanche matin, mon vêtement inondé de rosée comme les murs, pareillement au 2 octobre, j’éprouve ce que j’imagine être le soulagement merveilleux du noyé passé par les affres de l’asphyxie après avoir nagé jusqu’à il épuisement, et qu’on tire au dernier moment, encore conscient, du fleuve qui l’emporte. Dans ces instants de grande douleur physique et morale, entre la vie et la mort, je crus voir comme mon âme, quelque chose de blanc, et que je sentais éternel. Mon âme qui se levait comme une brume au-dessus de ma chair.
Maintenant j’ai repris contact avec la terre et son quotidien. Je sors de la maison de prière, trempé de cette rosée qui mouille également tout à l’extérieur : toits, murs, arbres qui dégouttent, sol et vitres ruisselantes des fenêtres.
Là, je pousse un cri. Un cri animal, sans autre raison que de crier pour me prouver que je vis, que je suis chez moi, et que tout à l’heure je vais revoir ma femme et mes trois filles. Et le cri s’écrase sans écho sur les murs qui cernent le jardin ; ce cri me semble presque un silence comparé aux éclats sonores de l’événement surnaturel que je viens de vivre. Ce cri terne finit de me replacer sur terre.
Un oiseau passe lentement, planant dans la brise. Le soleil levant, que je devine derrière les hauts chênes du boulevard de l’Aérium, se reflète sur son plumage. Le vent du matin sent le pin. Un camion passe en frappant des ridelles et son bruit me paraît doux. Je respire profondément, debout sur les dalles de pierre, le nez en l’air, pliant et dépliant machinalement les papiers sur quoi j’ai transcrit le long message de cette nuit.
Je pense. Je pense à l’ange que j’ai vu la veille sur la plage. Je pense au visage du chérubin dans sa boule vitreuse, qui volait tout à l’heure entre sol et toit, plus lumineux que les lumières des murs, moins que le bâton ardent. J’en conclus : « Hiérarchie de lumière. » D’autres pensées, jaillies dans ma tête encore toute vibrante du prodige, se saccadent, s’espacent, disparaissent. …
Dieu est étalé dans un espace infini. Or, nous ne pouvons pas avoir notion de l’infini. Dans cet espace, de toute façon, un homme est moins qu’un atome, un infime principe, mais qui emprisonne l’idée gigantesque, cosmique, de Dieu. Si Dieu peut rencontrer l’homme, c’est parce qu’il peut s’emprisonner un court moment dans le petit, si petit espace de l’homme. J’ai bien senti que, dans ce moment-là, la souffrance de Dieu vaut celle de l’homme qu’il visite. Les bruits qui accompagnent sa visite sont peut-être ses plaintes, et la lumière qui coule le long des murs ses larmes. Pensée personnelle seulement ; pas d’affirmation doctorale. L’homme religieux est tout subjectif ; cependant, depuis 1974, le surnaturel redevenu concret a permis à l’homme de repasser du subjectif spirituel à l’objectif. …
Je vais et viens ; j’ai froid, mais je ne me décide toujours pas à entrer chez moi. Je veux prier. Priant, j’ai l’impression à présent d’engager un dialogue avec deux Dieux séparés, celui que j’imaginais avant, et celui que je découvre maintenant. Je parle ici de la difficulté de mon intelligence à coller sur le Dieu caché, invisible derrière le Jésus de 1974, le Dieu qui vient de se montrer à moi, si peu soit-il. Auparavant, quand je priais je n’avais pas trop de mal à localiser Dieu dans mon esprit, et maintenant je le ressens aussi dans ma chair, mais je ne parviens pas à unir harmonieusement les deux notions, je les alterne en priant, ou j’oublie l’une des deux. Mais je sens clairement que ce n’est pas l’unité de Dieu que je mets ici en cause ; je mets en cause la possibilité de l’homme, donc ma propre possibilité, d’être spirituellement un et simple.
Au cours de cette prière, qui est autant une réflexion, des larmes me montent aux yeux. J’aspire l’air du matin. Derrière les arbres, je vois le feu du soleil qui monte. Voir le soleil achève mon bonheur de retrouver la terre.
Mais je garde pourtant une vague nostalgie de la parcelle du Royaume qui s’est montré à moi. Le papier que je plie et déplie machinalement est tout ce qui m’en reste. Je réalise d’un coup sa dimension immense ; c’est le Livre de Dieu sous l’immense voûte bleuissante du matin de l’immense église terrestre, qui n’a ni murs, ni hiérarchie. J’ai le sentiment de me trouver subitement seul dans cette église naturelle et libre que l’homme n’a pas pu clore et ne clora jamais. J’ai l’impression d’entrer le premier dans ce lieu pur et libre de la foi, et j’ai comme peur d’y rencontrer un autre homme, qui viendrait tout gâcher, avec son habituel visage fermé d’homme retourné sur soi, quand il devrait partager mon extraordinaire aventure surnaturelle et lever son regard tout occupé du seul Ciel et de son seul Dieu.
(Noté le 25 octobre 1978) Un an après, je rassemble et relis ces notes pour leur publication. Il me revient un souvenir:
Alors qu’au matin du 9 octobre 1977 je vais rentrer chez moi, je vois un chat, que nous appelons « le » chat. Un chat sans nom. « Le » chat semble vivre dans une friche proche, mais quand viennent les fraîcheurs de l’automne il passe parfois la nuit à l’abri de notre porche ou des avant-toits. Il est blanc avec quelques taches roux clair, et il porte une curieuse queue courte et pliée à angle droit. « Le » chat est sauvage, absolument insaisissable. Les enfants ont usé vainement de toutes leurs ruses pour l’attraper.
Le matin du 9 octobre, « le » chat ne s’enfuit pas quand j’approche du porche. Il me regarde bizarrement, comme admirativement. Je me sens tellement gêné de le voir, lui si farouche, subitement aimable, que je préfère penser qu’il est encore tout hébété par les lumières et les bruits surnaturels dont il a dû être témoin. Je parviens à un mètre de lui, ce qui ne s’est jamais vu. Il me coule un regard d’or. Je suis stupéfait ; je me demande même s’il n’est pas malade. J’avance une main vers lui. Il s’aplatit, mais il ne détale qu’à l’instant où je vais l’effleurer. Pour un chat qui n’a jamais mangé dans une main d’homme, qu’aucun bras n’a
jamais bercé, un chat sauvage et distant comme un lynx, une pareille minute d’apprivoisement me paraît un miracle, ajouté aux prodiges de la nuit ; une minute de paradis terrestre. En tout cas, il est évident que même pour « le » chat il s’est passé quelque chose cette nuit-là.!
Depuis le 9 octobre 1977, « le » chat est redevenu aussi sauvage qu’avant, mais quand je l’aperçois, je suis attendri. Il est mon co-témoin de la présence de Dieu et de l’énergie énorme, mais pacifique, qui accompagne sa descente sur terre, qui fait tout détoner et s’illuminer. Nous avons quelque chose d’important en commun, comme deux satellites qui ne se rencontreront jamais, mais qui courent sur la même orbite. Et je fais au chat des signes amicaux de loin.
3. TROISIÈME THÉOPHANIE
A. DÉBUT DE LA TROISIÈME THÉOPHANIE
(Noté le 19 octobre 1977)
Je suis réveillé plus tard que les 2 et 9 octobre. C’est à l’instant encore obscur de l’aube que m’appellent du dehors le cliquetis et les cris d’armée. Christiane et les enfants, sauf Sara, sont léthargiques comme les 2 et 9 octobre.
Cette fois, je m’habille chaudement, de vêtements préparés depuis deux semaines. L’absence de surprise n’efface pas mon appréhension, peut-être même aggravée par ma grande fatigue.
Au-dehors, je fais face aux mêmes phénomènes : bruits d’armée céleste, rumeur et chocs métalliques. C’est ainsi, du moins, que mon esprit continue de traduire le cliquetis et les appels inintelligibles, comme des ordres, le brouhaha qui remplit l’espace. La lumière coule le long du pignon de la maison de prière, lumière
blanche et vive, proche de la lumière de Dieu, dont le bâton ardent sera tout à l’heure la clarté optimale.
Je n’ai pas lu l’heure en sortant de mon lit, mais au levant le lointain est lilas sombre ; le moment avant l’aurore. Je traverse le jardin en claquant des dents comme un grippé tiré de son lit en pleine fièvre. Pourtant je ne souffre que d’un léger rhume.
J’ai oublié la clé de la maison de prière, mais je trouve sa porte ouverte (les 2 et 9 octobre, j’avais dû l’ouvrir moi-même). Pourtant Christiane l’a bien verrouillée la veille ; j’en aurai la preuve plus tard, en retrouvant la clé au tableau.
B. DÉROULEMENT DE LA TROISIÈME THÉOPHANIE
(suite des notes du 19 octobre 1977)
J’entre. Le long des chevrons, qui craquent comme s’ils éclataient, coule une lumière plus claire que les autres fois. Sur les murs aussi la lumière paraît plus claire, plus bleutée en tout cas.
Dès le seuil je m’agenouille et je prie, ressentant je ne sais quelle sécurité à me trouver à la frontière de deux niveaux surnaturels différents, entre le bruit et la lumière de l’extérieur et ceux de l’intérieur, différents. Au bout d’un moment, je sens qu’il me faut aller à ma place habituelle. Je m’y assieds ; le bâton de lumière apparaît.
Je saisis papier et crayon, et presque tout de suite la voix s’élève, ou descend. Saisir son point de départ est difficile. Comme les 2 et 9 octobre, le parler est lapidaire. Cependant, le sens de cette langue sans syntaxe se forme simultanément dans ma conscience, exactement comme si deux voix me parlaient, l’une à mon oreille, l’autre en moi traduisant la précédente. C’est une expérience impartageable et indescriptible.
Si disposé qu’on soit autour de moi à me prêter toutes sortes de mérites, qui me vaudraient les visites de Dieu, ou bien à me trouver sublime face au surnaturel, il faut déchanter. C’est l’imagerie religieuse qui a répandu la légende des grandes vertus seules dignes du regard et de la voix de Dieu. C’est faux, je te l’assure, frère pour qui j’écris ces notes. De plus, j’ai tout simplement envie d’être laissé en paix. Ou bien je n’ai pas assez de discernement pour voir en moi ce qui peut intéresser Dieu, ou bien j’en ai trop, qui me fait redouter l’avenir.
Tandis que Dieu me livre son message aujourd’hui, je me sens plus que jamais dans un grand trouble, qui n’est pas de l’humilité. Je ne me sens pas concerné, c’est tout. Sans pouvoir ignorer la réalité, j’écris, je subis et j’observe ce qui m’arrive avec une application de greffier, qui ne participe pas vraiment. Ma pensée tourbillonne. Ce n’est pas tout à fait confusion, ni détresse ; c’est un sentiment difficile à dire, comme d’être loin, ou à côté, et malgré des efforts sincères de ne pas pouvoir être dans l’événement.
Pourtant, le message devrait me captiver. Il annonce la décadence du monde intellectuel et industriel, et la régénération de l’humanité par l’homme fécond et simple venu du sentier, du riz, de la tourbe, et par la femme qui remplacera par ce robuste étranger l’homme de sa race, dégénéré en être fragile, impuissant et malade de sa vie cérébrale.
Prophétisant, Dieu me rappelle mon orgueil, celui de tout homme qui se croit fait de matière dominante, ce cerveau dont le développement paraît prévenir et maîtriser tout retour de sauvagerie. Nous avons enflé d’orgueil de connaître. Nous n’avons de cesse que notre intelligence n’ait maîtrisé totalement, en tous lieux, à toutes les profondeurs et altitudes, la matière pour nous être une richesse toujours plus grande. Nous ne trouvons d’espoir que dans les perfectionnements ininterrompus de nos machines et de nos organisations. Et voilà que, sous la pression de notre ambition de connaissance, qui n’a d’égale que notre folle cupidité, notre cerveau et notre fécondité vont mourir :
« L’homme (qui) compte (a) le cou plat, la langue lacée… Tu casses l(es) jambe(s) des maîtres… L’homme noir (a) le bras (qui) pend… Entre les dents (de la femme) coule la Parole, le soleil descend (de) son sein; sa gorge parle, l’oeil (de la femme) ferme l’oeil (de l’homme). »
Avant que ne s’achève cette nuit, je reçois aussi un message à transmettre à un certain paro, une puissance terrestre qui trône à l’Orient — de cela Dieu m’insuffle le sens — que mon esprit ne localise pas encore avec précision : Le paro parle à Israël: «(R)entre le fer dans ta main!» Tu envoies l’aile blanche (c’est à- dire le message) au paro. (Voir Livre XXV/5-6 ).
C. FIN DE LA TROISIÈME THÉOPHANIE
(Suite des notes du 19 octobre 1977)
Ce matin, lorsque la voix se tait, et que s’évanouit le bâton de lumière, au lieu de quitter ce lieu d’épreuve en hâte comme les fois précédentes, je demeure dans la maison de prière. Ce n’est pas parce que je me sens moins éprouvé cette fois-ci ; c’est au contraire parce que je le suis davantage.
Sans doute, je ressens face au bâton de lumière, comme je le ressentis face au regard du Christ en 1974, la répulsion de l’homme contre sa propre transparence, qui le diminue, l’avilit même, dans sa confrontation avec l’Être qui perce jusqu’à ses plus intimes péchés. Aujourd’hui je ressens cela plus fortement. Comment expliquer ?
En 1974 j’étais scruté par un oeil d’homme — même ressuscité, transfiguré, seulement un homme — et comme par un « détecteur » en lui. Il ne me dépersonnalisait pas tout à fait. À présent, je me sens curé comme un puits, violé dans mes profondeurs, dans mes replis les plus dissimulés, par l’éclatante lumière. Elle me fouille et me vide en-dedans.
Mais, plus encore, mon malaise vient du propre malaise de Dieu. Son malaise entre en moi avec sa lumière ; je sens sans cesse sa souffrance, sa difficulté à parler la langue de l’homme déchu ; langue compliquée, obscurcie, fardée par des millénaires de mensonge. Je sens la souffrance qu’il éprouve à se réduire au point lumineux et sonore devant moi. Un point dont j’ose me demander ce matin (toujours saisi par le besoin d’analyse, de débat) : n’est-ce qu’un atome de lui, ou bien son tout comprimé, dont déborde, explose, cette force incroyable, qui fait tout craquer et s’éclairer autour d’elle ?
Je serre, Je serre comme le clou (qu’on enfonce), m’a dit Dieu le premier jour.
Depuis, je perçois ses difficultés à chaque visite. Ce matin, après un silence, comme un souffle coupé qui cherche l’air, il m’a dit : Ma Lèvre (est écrasée) sous ton pied lourd ! Quelle douloureuse compression s’inflige-t-il pour descendre à la hauteur de mon oeil et de mon oreille ? Quel prix paie son Amour pour entrer dans le monde de l’homme ? … Je sais bien que sa phrase : Ma Lèvre sous ton pied lourd, a le sens de « Tu peux trahir ma Parole, la plier à tes projets d’homme », mais, émise comme d’un souffle contenu, exhalée plus qu’articulée, elle me fait un effet pénible. Mais je sais maintenant que cette phrase a un second sens ; c’est un indicible aveu d’amour crucifié. L’amour pour l’homme, que Dieu cherche à amener à la pénitence, mettant en jeu sa grandeur et comme son éternité, en prenant par moments des accents d’agonie.
Mon malaise est de culpabilité. Je découvre à quel point Dieu est le Père, participe à notre vie, s’y mêle au prix d’une descente contre nature (la kénosis des grecs) jusqu’à la petitesse humaine ; petitesse physique et plus encore petitesse d’esprit — Quel terne écho aura la nouvelle de sa théophanie chez ces mesquins ?
J’en tremble —. Le Créateur, l’Étalé sur l’univers, dès cette douce soirée où il visita Adam et Ève, se serait-il soumis à une création que, par erreur, il aurait trop miniaturisée pour y régner ou en jouir lui-même à l’aise ?
D’une part, il ne s’agit pas d’erreur, mais d’un risque consenti de l’amour. D’autre part, il n’est pas possible que le Père ait créé le fils en disproportion avec lui ; c’est le péché qui a réduit l’homme psychiquement ; il l’a aussi rapetissé physiquement.
4. QUATRIÈME THÉOPHANIE
A. DÉBUT DE LA QUATRIÈME THÉOPHANIE (Noté le 9 novembre 1977)
Ce matin je suis appelé plus tôt, à la nuit encore longue à s’achever. Je ne regarde pas l’heure ; c’est pourtant mon premier sursaut de conscience, quotidien, dès l’oeil ouvert. Sans même la toucher, je sens Christiane inerte ; sa léthargie sensible à distance semble alourdir l’air de la chambre. Depuis mon lit j’entends les bruits du dehors, qui précèdent Dieu, ou qui l’entourent s’il m’attend déjà…Parvenu dans le tohubohu habituel au-dehors, il me revient tout à coup que l’écritoire n’est pas dans la maison de prière ; je l’ai utilisé quelques jours auparavant pour noter un métré, en vue d’améliorer l’aménagement du saint lieu. Je retourne sur mes pas pour prendre dans mon bureau de quoi écrire.
J’ai également oublié la clé de la maison de prière, mais j’en trouve la porte ouverte, comme cela s’est déjà produit. Il fait froid. L’association du froid et de la lumière blanche, que je vois couler le long des murs, m’inspire l’idée de glace. Heureusement, j’ai mis mon gros manteau de peau à col de fourrure noire, celui du dignitaire pope d’avant, dont je ne me sers plus guère, mais je n’ai pas mis de chapeau.
Le froid me fait un garrot à la hauteur des tempes ; j’ai l’impression d’être sur un lac gelé, battu de bise. L’air froid rend plus assourdissant les craquements de la charpente, ces inexplicables explosions internes du bois.
B. DÉROULEMENT DE LA QUATRIÈME THÉOPHANIE
(Suite des notes du 9 novembre 1977)
Le premier mot de la voix divine tombe sur moi comme un coup : Vaincu… Je me mets à écrire, ma main fatigue vite, parce que la voix fait moins de pauses aujourd’hui, et parce que mon écriture, déjà peu rapide, est ralentie par le froid et une douleur articulaire. Mais à ma plus grande facilité à saisir le message par
l’intelligence — compensation pour ma main raidie — je vois que le langage de Dieu m’est de plus en plus vite accessible. Et je vois que Dieu le sait, car il parle plus vite, sans presque plus s’arrêter :
« Vaincu, le roi blanc sort, la main (tendue) devant (lui). La main écarte le(s) pied(s) comme les figues, la jambe (du fidèle qui) pend… Les caillots tombent (comme) les pierres du ciel : afar. Il pleut (des périls, quand) le Vent (on le) couche ! Ma Salive ! » (Rév. Arès X XXII)
Dans la révélation d’aujourd’hui, l’insistance de Dieu à condamner religions, églises, clergés, tous systèmes religieux, et parallèlement tout système idéologique, me frappe comme elle ne m’a jamais frappé. Tout en copiant le message, je comprends avec angoisse que du message de 1974 je m’étais abrité, et Dieu sans ménagement m’arrache à mon abri, me tire à découvert devant lui maintenant. Son insistance souffle sur moi comme, en certains printemps ensoleillés, un aigre vent d’hiver attardé qui veut nous rappeler qu’il reviendra toujours. La magnifique parabole de la jeune vierge et de la bête (Révélation d’Arès 22/13) exige d’être présente en moi. L’insistance de Dieu est si forte que j’ai l’impression de n’avoir pas encore lu, ou de n’avoir pas vraiment compris L’Évangile Donné à Arès et la révélation reçue depuis le 2 octobre. Au fond, mon inconsciente indulgence pour une église et son clergé auxquels j’ai appartenu ont émoussé jusqu’à présent dans mon esprit et dans mes propos les paroles les plus tranchantes de Dieu contre la religion-système ; je comprends ces paroles, mais vais-je les oublier encore ? Maintenant que Dieu m’a visité pour la quatrième fois, je constate que mon indulgence pour la religion rend plus insistante, comme obsédée, sa colère contre moi, Il précise sa volonté d’en finir avec elle avant d’en finir avec le fond général d’impiété, dont elle n’est pas qu’un des aspects, mais dont elle est la cause. La volonté centrale du message, volonté d’établir la foi libre et intime en Dieu et la foi dans le changement de l’homme, fixe le plan central de ma mission.
Le verbe de Dieu monte de mon oreille à mon esprit comme un chemin abrupt de pierres tranchantes. ..La voie vers les Hauteurs Saintes est certes accessible, mais elle demeure un sentier avec ses rocailles ; les pieds s’y écorchent (Révélation d’Arès 25/5) —. Et Dieu jette devant moi à profusion le gravier coupant de son insistance, pour que, de souffrance, j’ajuste enfin mes pas à la Voie Droite, que je cesse de zigzaguer, et que je raccourcisse le temps de ma marche sur la pierraille pendant mon ascension. Il veut que j’ajuste la cause à l’effet, sans rien abandonner à l’imaginaire ou aux sentiments personnels. Il faut extirper la religion et son clergé qui répand l’erreur. Je comprends mieux encore que l’aire mentale — et géographique par voie de conséquence — que Dieu a assignée à ma mission (Rév. Arès 5/6) est précisément celle que couvre l’église, qui est un exemple typique de religion. Mon paradoxe — ce qui me rattache au passé coexistant avec ce qui m’attache déjà à —, Dieu l’éclaire d’une lumière crue. Je crie de douleur en écrivant ces lignes.
Christiane de sa cuisine, à l’autre bout de la maison, a entendu mon cri. Elle vient me voir. Entre la porte de mon bureau, où elle se tient debout, et ma table de travail, où je trace ces notes et réflexions, nos regards se croisent en silence. Elle comprend que je souffre et qu’il faut me laisser souffrir seul. Sans prononcer un mot elle repart, ainsi que repart le gardien de prison qui vient de scruter par l’oeilleton. Je me sens indigne devant sa sérénité et sa force.
De toute façon, et quelles que soient les actions qu’il me faudra décider et administrer, il y a désormais un fossé de prison entre mon passé et l’avenir que je ne fais encore que présumer.
Le salut ne se reçoit pas de l’extérieur, de religion ou d’église, de dogmes ou de sacrement. Le salut s’incarne. Il remplace le sang. Le salut, c’est Dieu même qui salive dans l’homme, si l’homme accepte sa morsure. Le salut résulte de la symbiose Dieu-homme, qui fait jaillir la vie, et qui triomphe particulièrement dans la résurrection.
Un autre passage du message de ce jour dénonce la vanité de toute recherche de la vérité et du salut hors de la voie très simple que Dieu montre : « Mon Oeil, sa Force (se) tire du Fond des Fonds… (Même) Mikal ne cherche pas le Fond. Ouvre tes veines ! Dis(-Moi) : « Entre ! » (Rév.Arès 34/6-12).
…
Dieu, qui m’a parlé quatre fois à Arès depuis le 2 octobre, reste — n’en déplaise à certains — l’Éternel terrible et jaloux dont se plaignaient Moïse et les hébreux. Rien n’est changé pour ce qui regarde Dieu lui-même. « Alors, pourquoi vient-il, si rien ne change ? », demandent les ergoteurs. Ils oublient que l’époque
change, et que changent les voies pratiques pour surmonter le péché. Ils oublient également tout ce qui est resté inchangé dans l’homme depuis que Dieu l’appelle à se convertir et à reconstruire Éden, notamment l’idée de religion, comme système, qui n’a pas rapport qu’au religieux, mais qui a aussi rapport à la culture et à la politique, ses consoeurs : « L’homme noir n’a pas la paupière. L’homme noir lèche l’étal… La lune goûte le nuage, sourds (sont) les fils unis » Rév.Arès (XXXIV/15).
Alors que Dieu vient de prononcer les mots sourds sont les fils unis, une douleur atroce envahit ma poitrine en un instant, dans la région précordiale. Ce n’est pas le coeur, c’est nerveux, je pense. Je souffre d’angoisse et de détresse devant la mission que Dieu m’assigne.
La voix fait silence, tandis que la douleur irradie dans ma poitrine où plonge — je le sens très bien — le perçant regard que cache le bâton de lumière. La voix reprend : Je suis la mine (et) l’Eau…, et poursuit jusqu’à les bouvillons (le clergé), l(eur) glotte (est) sèc(he). Alors je m’écrie, en suffoquant de souffrance : « Mais il y a François d’Assise ! » Montant du bâton éclatant, la voix de Dieu me répond : « Le jars fort (et) beau (c’est-à-dire François d’Assise) (est) dans la cage, (mais) qui voit la cage ? L’oeil du roi blanc (en)lace le jars ; le roi blanc sait (que) le jars n’a pas l’oeuf ».Rév.Arès (XXXVI/3) .
Oui, Seigneur, je me souviens maintenant que tu as dit : Vis auprès de ton épouse et de tes enfants… Ne sois pas comme ceux qui se vêtent de la tunique des vierges (Rév.Arès 38/7). Non de quelque esprit, mais de l’oeuf de la femme, qui croît de la goutte de sperme qu’évoque souvent le Coran, sort tout humain appelé à la vie spirituelle.
Simple simplicité, simple vérité, que la culture chrétienne a longtemps éloignée par je ne sais quelle tentation d’angélisme. Ce qui manqua à François d’Assise, malgré sa spirituelle beauté, ce fut d’être un Abraham avec une Sara et un Isaac pour nouer la chaîne et nous relier à lui. Avorté fut l’enchaînement charnel par quoi se transmet aussi, et idéalement, ta Parole de salut : le peuple de chair, dont les maillons sont faits des enlacements perpétuels d’Adam et d’Ève.
Je souffre face au bâton de lumière, je me tords sur mon siège. J’ai l’impression de tourner autour de mon coeur pour le dompter. Je ne pense pas à la mort, même si je souffre une agonie, je me tords pour garder conscience de mon corps. Une force entre et s’installe en moi, elle se dilate en moi, compensant ainsi la faiblesse de mon âme.
Qui peut, comme je le fais dans ce moment tragique, comprendre qu’une fois la chair morte, l’âme n’est pas soulagée mais privée de sa puissante base d’os, de muscle et de nerf ? De la mort c’est le plus terrible effet. Et comment la résurrection charnelle ne serait-elle pas, tout au bout, l’évidente nécessité ?
Un flux sanguin m’échauffe la tête, mes oreilles sont brûlantes : ma douleur thoracique diminue graduellement sans disparaître tout à fait. Je lâche mon crayon, je me baisse pour le ramasser sur le sol ; par réaction mes yeux s’emplissent de grosses larmes, qui coulent sur mes joues, que j’avale. Elles forment un écran protecteur devant mes yeux, alors je regarde, je défie presque le bâton de lumière. Je lui dis en silence : « Quel génie tu as de tendre sous peu de mots — et sous les plus simples mots — ta révélation terrible pour ceux, comme moi, qui s’étaient fabriqués des idéaux si loin de l’extrême simplicité ! »
C. FIN DE LA QUATRIÈME THÉOPHANIE (Suite des notes du 9 novembre 1977)
Ce matin je quitte la Maison de la Sainte Parole plus fatigué que les autres fois. Que fut le combat nocturne de Jacob et de Dieu ?J’en connais les termes bibliques ; mais l’état intérieur dans lequel fut laissé Jacob ? La Bible n’en dit mot.
J’imagine que ses sentiments tenaient de ce que sont les miens après cette nuit d’épreuve. Dieu écrase l’homme quand il a l’affront de rester un moment face à lui avec d’autres pensées que son message.
Ma poitrine me fait encore mal. Je ne goûterai qu’une heure plus tard la merveilleuse paix qu’on éprouve après une douleur et une suffocation thoraciques, après la peur que le coeur cède.
Je fuis la maison de prière, croyant encore entendre Dieu chuchoter derrière moi après l’extinction du bâton ardent. Et je reprends la traversée des armées célestes, qui bruissent encore. Je traverse leur cliquetis et leurs brasillements de troupes angéliques. Elles semblent fourbir des armes d’argent. La nuit pèse encore sur Arès ; il faut dire que les jours raccourcissent. Je me précipite chez moi comme si Dieu m’y pourchassait.
D. APRÈS LA QUATRIÈME THÉOPHANIE, RÉFLEXIONS DIVERSES :
(Noté vers le 16 novembre 1977)
La période qui suit le 9 novembre est de fatigue et de malaise. Je pense que le langage particulier dans lequel Dieu s’adresse à moi y est pour quelque chose. Son laconisme étrange m’émerveille par tout ce qu’il exprime de vaste et de profond en quelques mots « primordiaux », et simultanément il m’embarrasse et soumet mon esprit à un effort d’adaptation éprouvant. Il est aisé de croire à la belle langue de nos bibles, traduite par des gens de goût, bien adaptée à nos habitudes mentales. Tout ce qui nous semble venir du Ciel est sans fatigue tant que Dieu ne parle pas lui-même.
Mais, qu’il parle, nous découvrons combien nous sommes loin de lui, combien notre conception de Dieu et des rapports entre Dieu et l’homme est fausse. Il me faut me refaire, et c’est difficile. La foi se prouve là pourtant. Certes, à présent, je préfère la migraine au misérable confort d’une foi sur mesure, pas complètement fausse sur quelques points, mais même sur ces points-là relative. De ce relatif, justement, religions et églises ont tiré profit. Mais de surmonter la force de mes habitudes — cela seul est vivre la foi au fond — je m’épuise. J’imagine que je me trouverai plus tard fort et joyeux de cette sublime expérience, et de cette victoire sur moi-même, mais pour l’heure je peine. Je souffre moins pour moi-même, tout compte fait, que pour ceux à qui je vais devoir transmettre ce message. …..
Je passe des nuits d’insomnie, par l’attente et la crainte d’être appelé par Dieu. Tournant et retournant dans mon lit, je voudrais parfois oublier ma propre existence, mourir. J’ai appris d’une lecture récente que Mahomet songea au suicide ; en ce moment je comprends un tel désespoir. Alors je me lève, j’enfile une robe de chambre et des chaussons, je cours à mon bureau pour m’emplir de travail et non de pensée.
Et remettant au propre le message du sceptre de lumière, travaillant à toutes les formules possibles pour lui donner forme claire sans trahir ni masquer sa langue originale, comme convenu avec Christiane, je sens souvent mes pensées vagues. Mon esprit est fatigué, comme l’oeil usé par le travail de nuit, qui voit double. Si demain Dieu revient, me parle, je ne suis pas sûr de pouvoir le noter. …..
Fort(es sont) la main, la roue. Le far (qui pour)suit les soleils ? Le soleil (de ta justice) brûle le far (Rév. Arès (XXXVI/21) . Ces mots jaillis du bâton de lumière me font méditer sur ce que nous devons savoir des gestes quotidiens, de leur force. Ce sont eux qui sauvent l’humanité chaque jour ; ce ne sont pas les fusées qu’on envoie vers le soleil, qui finissent en fumée, qui n’ont jamais soulagé un affligé, ni nourri un affamé. Ne refusons pas la science et les techniques ; nous ne retournons pas à la barbarie, mais aux sources de l’humanité.
L’important est de ne pas oublier que la main, la roue, la meule ou la rame ont fait plus, et feront toujours plus pour l’homme que les technologies dites « avancées », qui l’éblouissent. Il en est ainsi de l’amour et de la main, quand ils s’appliquent sur l’affligé. L’art médical et la pharmacie, et jusqu’à leur souvenir, disparaîtraient dans un cataclysme planétaire, il nous resterait grâce à Dieu l’amour et la main tendus vers les douleurs du monde ! Bien plus, la main et ses outils simples donnent une idée plus juste des rapports qui lient les hommes que les techniques qui les séparent par d’injustes et d’abyssaux écarts de connaissances entre eux. La science n’unit pas l’humanité — des parts entières d’humanité se sentent plus isolées que jamais de ceux qui savent —. La science séparera les hommes, tant qu’elle n’aura pas pour principe unique de prolonger le coeur et la main. ..
5. LA CINQUIÈME THÉOPHANIE
A. DÉBUT DE LA CINQUIÈME THÉOPHANIE (Noté le 22 novembre 1977)
J’attendais l’appel depuis plusieurs jours. Je le sentais imminent par une pression anormale de l’air sur moi, ces trois derniers soirs surtout. L’habituel charivari du dehors me réveille ce matin très tôt, à 3 h 15.
Habituelle léthargie de Christiane. Je m’habille chaudement et je sors. Il fait humide ; la rosée coule partout, plus abondante que les autres fois, semble-t-il. J’ai l’impression de débarquer d’un navire sec sur un quai embrumé, battu de poudrin. Je suis désagréablement saisi par le froid mouillé. Mais presque aussitôt le concert de bruits d’armée me distrait de l’inconfort en m’effrayant, car il n’a jamais été si proche et si fort. Mon regard se porte au-dessus des toits, comme si mon regard pouvait retomber de l’autre côté et voir ce qui m’intrigue depuis le 2 octobre : Quel effet produit sur les gens du dehors ce cliquetis mêlé d’appels et de scintillements ? Je ne le saurai peut-être jamais. Les arésiens sont-ils léthargiques comme Christiane et mes grandes filles ?
L’armée céleste paraît se battre contre une troupe de démons, comme pour dégager le lieu où va descendre Dieu. Ces guerriers du Ciel doivent joliment perturber l’ordre diabolique de ce monde déchu, qui s’en défend. Je quitte la terrasse, je fais quelques pas. Tout à coup apparaissent des spectres ; ils sont en marche ; ils sortent du mur du garage neuf à ma droite et traversent le jardin jusqu’au mur d’enceinte à ma gauche, où ils s’enfoncent et disparaissent. Les spectres semblent nus ; ils portent dans la main une assiette ou un plat vide ; certains ont une face d’affreux bandit. Parmi eux, voilà une femme, elle tombe, elle accouche en un instant ; un coup de vent, qui m’ébouriffe, l’efface comme poussière, elle et l’enfant spectral sorti de son ventre. Mes dents claquent, de froid, d’humidité et d’émotion. J’ai l’impression que mes souliers collent au sol, et je me panique à l’idée de ne pas pouvoir fuir si ces spectres m’approchent.
C’est qu’au passage ils me guignent ; leur oeil est mauvais ; je les soupçonne d’intentions agressives. Au fond, ce que je vois ne m’est pas inconnu ; ce sont les ténèbres glacées que Jésus m’a déjà fait voir . (Rév. d’Arès 36/18).
Un autre spectre tombe. Les autres se ruent sur lui et, comme des vautours, le dévorent par secousses de mâchoire ; ils lui arrachent sa « matière » par lambeaux, et ces cannibales, l’instant de l’ingestion, ont comme une brillance puis se ternissent aussitôt. Le choc d’armes, les appels et les cris de combat enveloppent ce défilé, la rosée le recouvre.
Mon manteau est trempé, mes cheveux me collent au crâne et au front. Une sorte d’escalier en spirale se dresse devant moi ; il aboutit à une plateforme, haute dans le ciel nocturne, où je devine des mouvements ; on dirait des ombres qui s’activent devant un incendie. Que portent ces ombres ? Des piques ? De la plate-forme pendent des choses indéfinies et longues. Mon effroi augmente à l’idée que je devrais monter là-haut. Du côté de la Maison de la Sainte Parole la lumière coule toujours le long du pignon, et à travers les vitres de couleur je distingue les éclats blancs à l’intérieur, qui ondoient.
J’ai froid et j’ai peur, et je n’ose pas couper le défilé des spectres pour avancer vers la maison de prière, ni reculer et rentrer chez moi, parce que l’appel de Dieu demeure impératif en moi. Il m’attend, je le sais. J’arrive à penser un peu, je me dis que si Dieu m’attend, c’est qu’il veut que je surmonte l’obstacle. L’appréhension me donne le vertige, les spectres semblent vouloir tourner autour de moi. Au-dessus de ma tête le monumental escalier spiral tourne lentement sur lui-même, mais je crois que c’est son vrai mouvement, ce n’est pas un effet du vertige. Cet escalier — peut-être une tour en fait — est comme accroché au ciel par son sommet. Le vertige se dissipe. Des lueurs apparaissent, courent entre les spectres, elles ressemblent à des risées écumeuses sur la mer, elles m’atteignent. Chaque fois qu’une d’elles me touche, je vois mes mains devenir neigeuses et translucides quelques secondes. Je suppose que mon visage fait de même. Derrière les lueurs et les spectres, l’escalier-tour suspendu au ciel, puis les murs de la maison de prière éclatants de lumière blanche. La nuit est dense et noire comme du charbon sur quoi dansent les brasillements de l’armée céleste.
Je me décide. Je me rassemble farouchement ; je traverse le défilé des spectres, le coeur et les tempes battants. Je passe sous l’escalier spiral. Effrayant. Il se dresse au-dessus de ma tête comme une tour de verre qui balance dans le vent, suspendue à la nuit. Qu’elle descende de deux mètres, elle m’écrase ! Ce n’est pas, j’en suis sûr, l’échelle de Jacob, le mouvement apaisant des anges montant et descendant, mais un escalier vide, qui figure la matière invitant sournoisement à la gravir, à la conquérir, pour écraser l’ambitieux. Je découvre que la matière aussi a ses fantômes.
Me voilà à quelques pas de la Maison de la Sainte Parole, les obstacles franchis, les jambes molles. Là, l’exquise odeur florale déjà sentie d’autres fois, le parfum consolateur, m’environne. Une fête entre en moi.
Un effet de source coule dans ma gorge, y clapote ; eau délicieuse. Ma peur se dissipe, chassée par une force qui chasse d’ailleurs toute pensée. Vide de tout sentiment, « chose » je suis. Je me sens une fixité et une puissance d’arbre, avec dans mon dos le tumulte, qui ne m’atteint plus. Je suis un arbre odorant, épanoui de bonheur.
Quand je retrouve mes esprits et mon humanité, je me tiens debout face à la Maison de la Sainte Parole, les bras étendus devant moi, les paumes en l’air, priant.
Dans cet instant ma prière ne récite pas la Parole, comme elle devrait. Ma prière dit à peu près ceci : « En toute entreprise, nous craignons finalement trois choses : Les autres hommes, les forces invisibles qui nous entourent et Dieu. Rien d’autre n’agit contre nous, ni pour nous. J’ai saisi la leçon, Seigneur. »Tout en sachant qu’il me faut entrer dans la maison de prière et y accepter l’autre épreuve, celle de Dieu, contre quoi nulle ruse, ni prudence, ni délai, ni recours ne pourraient rien, je me sens maintenant en paix. C’est la première fois que j’entre en paix dans ce lieu théophanique ; je me sens presque bien sous les chevrons et les poutres qui craquent, face aux cascades de lumière qui descendent des murs.
B. DÉROULEMENT DE LA CINQUIÈME THÉOPHANIE
(Suite des notes du 22 novembre 1977)
Je m’assieds, je prends calmement mon écritoire sur le siège à côté du mien, et, comme s’il attendait mon geste, le bâton de lumière surgit devant mes yeux.
Il dit : Ta voix sonne (à) la cloche. Pure (ta voix) sonne. Juste prophète, les mains devant ! Ma main va sur le bruit, le bruit (qui) rend sourd, (elle le) fend (Rév.Arès XXXVII/1).
Le bâton de lumière se tait un long moment, comme pour laisser mon coeur retrouver son rythme, après qu’il a battu d’avoir trop bien compris l’honneur inouï que me font ces deux mots : Juste prophète. La voix s’élève à nouveau :Tu vas haut, bonne pensée. (Le) Bien (est) dans le creux de ta langue… L’ha n’est pas fils de l’ha. (Rév. Arès XXXVIII/2).
En notant mes réflexions ce matin, à propos de l’ha, ainsi que Dieu appelle l’âme, je dis à Christiane : « Il est allé aux profondeurs ! Je ne peux prédire ce que Dieu révélera encore, mais je crois pouvoir dire désormais à ceux qui me questionneront sur le bâton de lumière : « Lisez sa Parole du 22 novembre, puis
plongez en vous-même pour voir si votre ha y a bien caillé ! » (Rév. Arès XXXIX/8) .
Le fond de soi est à portée de main, mais l’homme n’est plus fait à cette courte distance de lui-même. Quand il se porte sur une étoile ou sur l’horizon marin, il est détendu, parce qu’il aime ce qui ne l’engage pas dans des voies étroites. Les larges panoramas lui offrent mille trous pour fuir. Mais retourner l’oeil en-dedans ! Et cailler en soi quelque chose, assister conscient à sa métamorphose, non ! L’homme n’aime se voir en dedans qu’anesthésié, sinon il se croit autopsié vif.
C’est pour s’endormir qu’il se livre à l’alcool, la bonne chère, la télévision et à tant d’autres choses étourdissantes ; activités forcenées, rencontres où il raisonne en fier, qui le distraient des mystères du corps, de la vie, de la maladie et de la mort. Réduit à une chose charnelle, l’homme peut être intellectuel, mais ne se transcende pas ; il se putréfie vivant dans le confort de l’inconscience. …….
Ce que la nature construite-constructive de l’ha nous apprend, entre autres choses essentielles, c’est que l’homme, contrairement aux idées de la « raison », n’a pas des propriétés psycho-chimiques indélébiles — ses structures telles qu’elles sortent du ventre maternel, et ses manières d’agir dérivées de l’éducation —. Si vices et passions, faiblesses et ambitions sont tenaces, leur ténacité n’est pas irrémédiable devant la volonté de construire une âme. Le salut est existentiel.
Soudain, au bâton de lumière semblent se superposer un autre bâton de lumière, puis un autre et encore un autre, chacun ajoutant sa lumière aux précédents.
En fait, l’intensité du bâton ardent augmente par étapes. Mon regard se détourne. Par contraste, les nappes laiteuses qui coulent le long des murs semblent maintenant sombres. Devant elles dansent et tournoient comme des clartés de fanaux, carrées et troubles. « Un effet de l’éblouissement, » pensé-je. La voix s’est tue ; je ferme les yeux un moment. Mais de la voix je devine la latence par un grondement de gorge léger et soutenu, de timbre égal. La violence lumineuse du bâton ardent est telle que son éclat blanc traverse mes paupières. Je tourne la tête à droite, vers la petite porte verte, avant de rouvrir les yeux. Les fanaux volettent là aussi, en tous sens, du sol à la charpente. Ma main en oeillère sur la tempe gauche soulage mon regard de l’éclat de Dieu. Des larmes coulent de mes yeux irrités ; elles aussi protègent mon regard ; à travers elles je vois les fanaux plus flous qui voltigent. Une battue d’anges dans l’air, pour débusquer quelques démons ? Que peuvent chercher dans l’air sombre ces lanternes pâles ? Je réalise pour la première fois que l’air est sombre ; rien ne réfléchit la lumière du bâton ardent et celle coulant le long des murs ; elles se reflètent sur soi, se redigèrent, elles n’éclairent qu’elles-mêmes. Cette lumière n’est pas de même nature que la clarté des fanaux, clarté de brouillard, sans force.
Je ne me pose plus de questions. Les bruits et les brasillements d’armée, les explosions dans le bois, les laves blanches glissant le long des murs, les fanaux blafards ou les apparitions d’anges, dans tout cela je vois seulement un cortège de forces diverses autour de Dieu, des éclaboussures infimes de sa puissance.
Je ferme à nouveau les yeux, ma tête penchée sur mon épaule gauche, vers le bâton de lumière, dans une attente sacrée ; j’attends le retour de la voix. Je la guette, parce qu’elle fait toujours irruption, n’étant ni précédée de pas, ni d’une porte qui s’ouvre, ni d’un raclement de gorge comme le discours d’homme. J’ai beau l’attendre, je sursaute toujours à son jaillissement.
La voix ne revient pas encore, mais l’éclat puissant du bâton ardent, que je devine entre mes doigts serrés sur mes yeux, me dit qu’elle ne va pas tarder. Je salive, je crois charrier à pleine bouche la lumière dont je protège mon regard, mais que je sens entrer en moi par la peau, par la tête. La lumière coule et pétille dans mon ventre ; j’ai le sentiment extraordinaire d’être rempli d’étoiles et de m’envoler. J’ai comme des yeux tournés vers mes entrailles, où ils voient les reflets du Ciel.
J’attends toujours la voix. Les bruits augmentent, les explosions s’accélèrent dans les chevrons et dans les pannes. De ma gauche vient comme le fracas d’un train sur un pont de bois, qui passe sur ma tête. Il secoue tous les sièges de la salle de prière, fait tinter comme une harpe le chandelier aux sept branches fines et flexibles. Un tremblement de terre ? Je m’affole. Mais le sol ne bouge pas sous mes pieds ; l’ébranlement vient d’en-haut. Je lance mes bras en l’air, dérisoire réflexe, pour arrêter le bruit qui y passe. Et deux mains bouillantes saisissent mes poignets, tirent mes bras. Mes épaules craquent. Je pousse un cri bizarre, un cri qui n’ose s’élever : « Les mains de Dieu ! » Je suis intimidé à l’extrême. « Dieu ! », ce mot tremble sur mes lèvres.
De la poigne de fer la chaleur gagne tout le bras ; par l’épaule elle m’entre dans le tronc, et sur le coeur c’est un incendie. Elle se concentre là, d’où elle diffuse jusqu’aux pieds. Je ressens, si forte, l’impression de fumer comme un brandon que j’ouvre les yeux. De mon corps sort vraiment de la fumée. Je tremble dans cette vapeur. Le bâton ardent a retrouvé son intensité normale ; je garde les yeux ouverts, mais je n’ose pas les lever vers les mains qui m’empoignent.
Pourtant, d’amour pour Dieu, de tendresse folle, je voudrais saisir ces deux mains et les embrasser. Je resterais l’éternité ainsi, les bras tenus en l’air, à me vider de larmes heureuses.
Les fanaux se sont rapetissés, mais multipliés jusqu’à luire comme un banc de poissons à ventre blanc, qui tourne, retourne et repasse. Les bruits se compliquent de coups plus sourds, précédés de sifflements graves dans l’air, ceux d’arbres qui s’abattraient sur le toit de la maison de prière. Celle-ci paraît se rompre sous ces coups. Comparaison difficile ; de tels bruits ne procèdent pas de la physique terrestre. Je palpite dans la chaleur qui m’emplit. Quel contraste avec le froid que j’ai toujours ressenti ici depuis le 2 octobre ! L’intime et brûlante poigne lâche mon bras droit, mais elle tient toujours en l’air le gauche, plus fermement encore. Un courant d’air ; je sens venir la voix. Au bout du bras droit endolori ma main se prépare à écrire. La voix s’élève, presque confidentielle, accentuant l’intimité chaleureuse de Dieu dans ce moment :
« Michel (unique fois où Michel remplace Mikal dans Le Livre), dans tes côtes (J’ouvre) une baie. Le frère (y,) pale son île, (un lieu) sûr… Iyëchayë (Isaïe) parle : « Mon OEil (se) ferme sur Mikal. Je fais les frères de Mikal » (Rév. d’Arès XLII).
À peu près à ce moment-là, l’éclat du bâton de lumière s’intensifie à nouveau par paliers, jusqu’à redevenir insoutenable. Ma main gauche restant prisonnière de la main de Dieu, ma main droite étant occupée à écrire, à tourner et maintenir les feuillets, je ne peux que crisper mes minces paupières sur mes yeux pour les protéger, presque en vain, si pénétrante est la lumière. Je baigne dans un mélange de béatitude et de souffrance. Plus je tente de dégager ma main gauche pour en abriter mes yeux, plus se resserre la poigne sur mon bras et plus elle le tire vers le haut, à m’en déboîter l’épaule. D’une voix lamentable je crie : « Dieu, Dieu, arrête ! » Mais lui continue de parler impitoyablement, tandis que la condensation me couvre, je crois tremper dans l’eau jusqu’aux aisselles ; elle s’évapore au fur et à mesure. J’ai bien du mal à me dépêtrer de mes papiers humides.
« Mikal est dans Mon Poing. Crochée, la raie. (Si) tu (la) lâches, (tu es) percé… Le Mont sur le(s) Fond(s se re)ferme… Je souffle (sur) ton cheveu, (il tombe de ta tête comme) la pierre de feu coule, il couvre la terre, (il) ouvre l(es) porte(s comme) la pierre de feu (Rév. Arès, XLIII à L).
Alors, le point haut, intense, du bâton de lumière, son « pommeau » d’où sort la voix, s’élargit en un soleil blanc, qui envahit en quelques secondes toute la salle de prière. Sa clarté est supportable : tons concentriques, où tous les bleutés et tous les argentés possibles du blanc s’étagent depuis le centre ; pas un seul ton chaud ; toute teinte est froide. Cependant, l’air s’échauffe rapidement, produit une radiation qui irrite ma peau comme feraient des orties ; elle m’attaque et me pénètre. La souffrance devient vite très dure. Mon dos se fend, ma chair est ouverte vive. Je me tords sous la poigne qui ne cesse pas de tirer mon bras gauche vers le haut. Ma main droite a jeté le crayon, elle court sur tout mon corps comme pour en contenir la chair. Je me sens dépecé par derrière ; une voix terne dans mon cou compte mes os et mes viscères. La douleur brûlante atteint mon coeur, y entre, y tourne, y fourgonne comme un tisonnier. J’étouffe de peine et de peur. Enfin, la main de Dieu lâche mon bras ; le parfum merveilleux m’enveloppe la tête ; la douleur devient comme délicieuse. Le soleil blanc bleuté et argenté semble respirer, il se dilate et se contracte légèrement. Je le contemple, et je crie dans un souffle : « La gloire de Dieu ! » Le soleil, la douleur, l’indescriptible vacarme de bois éclaté dans la maison et de cliquetis au-dehors s’atténuent et disparaissent.
C. FIN DE LA CINQUIÈME THÉOPHANIE
(Suite des notes du 22 novembre 1977)
Des flammes dansent encore dans l’air, sur le sol, sur les sièges de la Maison de la Sainte Parole, peu lumineuses. Maintenant je vois l’éclairage de la rue derrière les vitres. Il fait donc encore nuit.
Je me tâte machinalement, doutant d’être entier, ou même vivant, après cette épreuve. Je ferme et j’ouvre les yeux à répétition. Mon regard se pose sur mes pieds : quelle émotion ! ils ne touchent pas le sol. Je passe ma main sous mes fesses ; je suis assis sur le vide. La poigne divine m’a décollé du siège, je reste suspendu à dix ou vingt centimètres au-dessus. J’allais me lever, je n’ose plus bouger. Bien qu’élevé à faible hauteur, j’ai peureusement l’impression d’être assis sur la branche haute d’un arbre, dont je chuterais au moindre geste. Et tout à coup j’éclate de fureur : «Mais qu’est-ce que tu me fais ?Que t’ai-je demandé ? » Débordant d’émotion, à bout de résistance, je me répands en mots amers, et je reçois, claquant dans ma tête comme un éclair, d’une main invisible, une gifle violente. Je suis d’abord pétrifié, puis je fonds en larmes, je me mets à trembler, mes nerfs craquent de tout côté. Quand je me calme, je repose sur mon siège, mes pieds touchent le sol. Les dernières flammes ont disparu ; l’obscurité serait totale, si du dehors l’éclairage public n’entrait un peu par les verres colorés.
Je passe une main dans mon dos ; la peau en est intacte, mais bouillante, et mes vêtements sont encore, retroussés jusqu’aux épaules. L’intense chaleur les a séchés en un instant. Je les réordonne, tout en avalant mes dernières larmes, puis je vais à tâtons, d’un pas de malade, jusqu’au petit vestibule entre la salle de prière et la porterie, où se trouve le tableau électrique. J’allume toutes les lampes au-dedans et au-dehors. Revenu dans la salle de prière, je me laisse tomber sur mon siège. Je caresse ma joue, encore chaude de la plus forte gifle jamais reçue depuis mon enfance.
APRÈS LA CINQUIÈME THÉOPHANIE (Noté le 28 novembre 1977)
Il y a une semaine que Dieu m’a fait subir l’extraordinaire et douloureuse expérience de sa dernière visite. En fait, je sors de cette expérience ce matin seulement. Tous ces jours, mon esprit n’a pas repris le cours du quotidien ; j’ai traîné mes pieds à travers la maison, la pensée immobilisée sur les événements de la nuit du 22 novembre. Ce matin j’ai enfin pu répondre de façon sensée et pratique à une question ménagère de Christiane.
Ma tête a rejoint mon corps. J’ai cessé de faire pour la centième fois en pensée, jusqu’à la migraine, le tour de l’expérience vécue la nuit du 22 novembre. La phobie de la Maison de la Sainte Parole — jusqu’à la voir de loin qui m’était insupportable — m’a quitté également. J’ai même voulu m’y rendre ce matin. J’ai fait, d’un pas léger de voleur, plusieurs fois le tour de la salle de prière, sans allumer, dans la pénombre d’un matin d’hiver. Je suis passé et repassé entre les rangs de sièges, l’esprit bien dégagé. J’ai même remarqué quelques détails de la salle de prière qui m’avaient échappé, comme si je venais d’y entrer en touriste. Je n’y étais jamais venu que pour m’engloutir dans la prière, mais aujourd’hui je n’ai pas eu envie de prier. Je suis tombé en péché de présomption, me disant : « Dieu est avec moi. Pourquoi prierais-je ? »
Dieu aime tous les hommes, mais chacun a l’impression que Dieu l’aime plus que les autres. Impression piège, je le sais. Pourtant, ce matin j’ai cru moi aussi que j’étais le préféré de Dieu, au point de me permettre une intimité insolente : je me suis assis sur le sol, là où le bâton de lumière m’est apparu, jusqu’à ce que le froid du grès me repousse.
Assis sur le marchepied de Dieu, toute présomption m’a quitté ; il m’est revenu que je dois sortir de cette épreuve — ou de ce bonheur, je ne sais plus — d’intimité avec Dieu et avertir le monde de ce que j’ai vu, entendu, vécu sur ce lieu. Je sais, sans qu’il me l’ait dit, que Dieu ne reviendra pas cet automne.
Sans l’expérience préalable de 1974 — il y aura quatre ans dans deux mois —, l’épreuve du témoignage, qui m’attend, serait impossible. Déclarer : « J’ai vu Jésus » n’est pas l’épreuve de déclarer : « J’ai vu Dieu !»
Arès, 28 novembre 1977
Frère Michel